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LETTRES SUR L’ISLANDE.

leur demandait en vain merci. Ces guerres désastreuses firent sentir la nécessité d’une organisation générale qui donnât une sorte d’unité à tant d’élémens disparates, et mît un frein à l’ambition de tant de familles rivales l’une de l’autre.

Un Islandais, Ulfliot, partit pour la Norwége avec la mission d’étudier les lois en usage et de les rapporter dans son pays. Il suivit pendant trois ans les leçons de Thorleif, surnommé le Sage, et s’en revint avec un code qui, en 928, fut adopté à l’Althing, non sans quelque contestation. C’est le code connu sous le nom de Gragas[1]. L’Islande fut divisée en quatre parties, d’après les quatre points cardinaux, et subdivisée en douze districts. Chaque district avait son tribunal, ses réunions particulières ; mais la nation tenait toutes les années une diète solennelle à Thingvalla. L’assemblée était présidée par les douze représentans des districts, et au-dessus d’eux s’élevait le chef judiciaire élu par le peuple et proclamé homme de la loi. C’était bien l’homme de la loi, car, à une époque où elle n’était pas encore écrite, il devait la savoir littéralement par cœur, et la répéter chaque année aux diverses tribus. Pendant deux cents ans, ce code primitif se perpétua ainsi par le souvenir et par la parole. Mais les Islandais, qui le gardaient si fidèlement dans leurs traditions, ne se faisaient pas scrupule de le transgresser chaque fois qu’il condamnait leurs projets de vengeance. Souvent la voix conciliatrice des juges fut méconnue, et la sentence du logmadr étouffée par des cris de guerre et des vociférations haineuses. Les chefs de cohorte s’en allaient à leur diète le glaive à la main, comme les Hongrois ; quand la discussion légale ne leur donnait pas gain de cause, ils avaient recours à la force, et le roc sacré, le logberg, du haut duquel le législateur rendait ses oracles, devenait le théâtre sanglant de leurs combats.

Telle fut l’Islande pendant près de quatre siècles, et le christianisme lui-même, avec ses pieux symboles et ses paroles miséricordieuses, ne put adoucir qu’après de longues résistances les passions violentes de cette race de corsaires. Déjà le Danemarck, la Suède, la Norwége, avaient abjuré le culte de leurs anciens dieux, et l’Islande le conservait encore. Plus d’une fois l’Évangile lui avait été annoncé, et elle ne l’avait pas entendu. Les holocaustes de sang plaisaient trop à l’imagination de ces hommes de guerre pour qu’ils consentissent si vite à y renoncer, et le dieu Thor, avec son marteau, emblème de la force, était bien le dieu qu’ils devaient adorer. Le premier qui essaya de les arracher à leur idolâtrie était un Irlandais envoyé par saint Patrice. Il fit quelques prédications,

  1. On en a publié à Copenhague une belle édition en 2 vol. in-4o, avec la traduction latine, et il existe sur ce recueil un très bon commentaire de Schlegel.