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il poursuivit les meurtriers, les atteignit aux îles Westmann, et les massacra. De là vient le nom des îles Westmann. Cependant il s’était mis à la recherche de ses dieux pénates, et, après de longues perquisitions, il les découvrit auprès de Reikiavik. Il éleva sa demeure sur le rivage où la mer les avait jetés, et, de pirate qu’il était, il devint laboureur et pêcheur. Peu à peu d’autres familles norwégiennes le suivirent, et s’en allèrent habiter diverses parties de l’île. Au bout de soixante ans, l’Islande était presque entièrement occupée, et le nombre des émigrés devint si grand, que le roi Harald, craignant de voir son pays se dépeupler, imposa une amende de cinq onces d’argent sur tous ceux qui voulaient partir.

Ces émigrés étaient, pour la plupart, des hommes de famille noble, qui exerçaient dans leur pays un certain droit de souveraineté. Ils emmenaient avec eux tous ceux qu’ils avaient eus autrefois sous leur domination, ils fuyaient le despotisme de leur roi, et redevenaient libres en posant le pied sur le navire ; mais leurs esclaves restaient esclaves. Lorsqu’ils débarquaient sur la côte d’Islande, le chef de la tribu prenait un tison enflammé et parcourait le pays. Toute la terre qu’il enlaçait dans ce cercle de feu lui appartenait, et il la distribuait comme une terre de conquête à ses vassaux. Puis une fois le partage fait, il se retranchait avec ses serfs dans un domaine, et vivait comme un seigneur suzerain. S’il voulait tenter une excursion maritime, ses vassaux étaient obligés de répondre à son appel ; s’il avait une guerre, ses vassaux devaient le soutenir. C’était la féodalité norwégienne, moins le roi qui la gênait ; c’était l’aristocratie des hauts barons de France appliquée à une race de pirates, à un peuple de pêcheurs. Quelques-uns d’entre eux bâtissaient un temple, et prenaient le titre de Godi. Ils étaient tout à la fois magistrats et pontifes. On les appelait comme juges dans les causes difficiles. On prêtait serment sur l’anneau qu’ils portaient à leur doigt, et chaque famille leur payait un tribut religieux.

Tous ces chefs de tribu vivaient à l’écart, maîtres dans leur domaine, jaloux de leur pouvoir, et indépendans l’un de l’autre. Mais souvent ils se regardaient d’un œil d’envie. Dans leur humeur belliqueuse, la moindre contestation provoquait une guerre, la plus légère étincelle amenait un incendie. Ils avaient rapporté de leur terre natale l’amour des combats. Ils s’asseyaient à table appuyés sur leur hache d’armes, et dormaient sur leur glaive. Au premier cri d’alarme, on les voyait monter à cheval, et ils s’en allaient piller et brûler la demeure de leurs voisins. Quand la discorde s’était ainsi jetée entre eux, c’étaient, de part et d’autre, des provocations continuelles et des représailles sans fin. Il n’y avait point de loi pour les punir, point de pouvoir pour les maîtriser, et l’Islande dévastée