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LETTRES SUR L’ISLANDE.

la main sur le champ de bataille, et le salua roi. Mais il avait conquis ses peuples par la force, et, sur sa route, il n’avait semé que la haine et le mécontentement. Des hommes qui avaient été ses égaux, gémissaient de le nommer leur souverain ; des familles puissantes s’indignaient de se courber devant lui : elles cédaient à sa volonté, mais en cherchant autour d’elles le moyen de recouvrer leur indépendance. Alors Floki explorait l’Islande ; et l’île lointaine, l’île déserte, leur apparut comme un dernier refuge. Le pays était pauvre, disait-on, mais il n’avait point de maître ; et l’aristocratie norwégienne, froissée dans ses intérêts, humiliée dans son orgueil, s’en alla chercher les landes arides dont on lui avait parlé, heureuse de reprendre sa liberté, heureuse de mettre entre elle et son despote l’immense espace des mers.

Les deux premiers colons d’Islande, Ingolfr et Leifr, surnommé plus tard Hiorleifr, avaient encore un autre motif de s’expatrier. Ils s’étaient attiré, par un double meurtre, la haine d’une famille nombreuse, et ils fuyaient autant pour éviter sa vengeance que pour échapper à la domination de Harald. Leur première émigration date de 870[1]. Mais ce n’était, en quelque sorte, qu’un voyage d’essai, une reconnaissance de pays. Ils abordent en Irlande et y passent l’hiver. Au printemps, Hiorleifr s’en va guerroyer en Islande, Ingolfr retourne en Norwége. Un an après ils se rejoignent, et cette fois se disposent à partir pour long-temps. Ingolfr offre un sacrifice aux dieux, et consulte les oracles scandinaves qui lui indiquent la route d’Islande. Hiorleifr, qui peut-être avait reçu, dans son dernier voyage, quelques notions du christianisme, refusa de sacrifier, et accepta pour oracle la parole de son ami. Ils s’embarquent emportant avec eux tout ce qu’ils possédaient, et parmi ses richesses de corsaire, Ingolfr avait placé ses dieux pénates. À quelque distance de la côte, ils se séparent. Hiorleifr s’en va à l’est. Ingolfr, avec son esprit superstitieux, jette à la mer ses idoles, promettant d’aborder là où elles aborderont. Mais le vent l’entraîna d’un autre côté, et il débarqua à l’ouest de la côte, dans un endroit qui a conservé son nom et qui s’appelle encore aujourd’hui : Ingolfs hœfdi (promontoire d’Ingolfr). En arrivant, Hiorleifr s’était bâti une demeure, et avait essayé de labourer la terre ; mais il fut assassiné par des esclaves irlandais qu’il avait amenés avec lui. En apprenant cette nouvelle, son compagnon d’armes s’écria avec sa foi de païen : « C’est un grand malheur pour un homme comme celui-là de mourir de la main d’un esclave ; mais tel est le sort de ceux qui ne veulent pas sacrifier aux dieux[2]. » Après cette oraison funèbre,

  1. Landnama bok.
  2. Landnama bok.