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premier de ses corbeaux, qui, ne se souciant pas sans doute d’entreprendre un voyage de découverte, s’en retourna tranquillement au lieu d’où il était parti. Peu après, il lâcha le second, qui s’élança dans les airs, tournoya au-dessus du navire, et revint lâchement se poser sur sa cage, effrayé de cette immensité d’eau. Enfin Floki lâcha le troisième ; et celui-ci, comme pour venger l’honneur de sa race, s’en alla hardiment vers le nord ; le vaisseau le suivit et aborda à Reykianes. Nadodd avait vu en automne les montagnes couvertes de neige, Floki les trouva au printemps couvertes de glace, et donna au pays le nom qui lui est resté Terre de glace (Island)[1]. Il revint, l’été suivant en Norwége, et dépeignit, comme il les avait vus, ces champs arides, ces volcans enflammés, ces montagnes sauvages de l’Islande. Mais un de ses compagnons raconta au peuple crédule que c’était un pays charmant, où le sol était sans cesse couvert de fruits, où le beurre découlait des rochers.

Dans ce temps-là, Harald aux beaux cheveux régnait en Norwége : il avait succédé à son père à l’âge de dix ans[2]. Son royaume n’était d’abord qu’une de ces étroites principautés, comme il y en avait eu un grand nombre en Suède et en Danemarck. Mais il avait l’ame ambitieuse, et il était, dit la saga, grand, fort, courageux et habile[3]. Dans son audace et sa jeunesse, quand il eut mesuré son domaine de prince, il se sentit à l’étroit, et rêva guerres et conquêtes : une femme acheva de lui donner l’impulsion. Cette femme était Gyda, fille du roi Eirik. Harald l’avait envoyé demander en mariage ; mais la fière Gyda répondit qu’elle ne se sentait aucunement tentée d’épouser un si petit roi[4], et que s’il voulait être aimé d’elle, il fallait qu’il lui donnât à partager, non pas sa pauvre couronne de prince, mais la couronne de Norwége.

Quand les ambassadeurs de Harald vinrent lui rendre compte de leur mission, il applaudit aux paroles de la jeune fille, et jura de ne pas couper sa chevelure, de ne pas la peigner avant que d’avoir soumis toute la contrée à son pouvoir. Ainsi entraîné par ses désirs ambitieux et ses rêves d’amour, il déclara la guerre à ses voisins, les subjugua l’un après l’autre, et envahit leur principauté. Bientôt son armée devint si nombreuse, son nom si redoutable, que pas un de ses anciens rivaux n’osa lui résister. Il étendit son bras de fer sur toute la Norwége ; et celle qui peu d’années auparavant semblait prendre en pitié sa destinée obscure, vint lui tendre

  1. Landnama bok.
  2. Saga d’Olaf Tryggvason, tom. i.
  3. Ibid.
  4. Le texte islandais est plus expressif. « Hun svarar at hun vill eigi spilla meydomi sinum til thess at eiga thann konung er eigi hefir meira enn nokkur fylki til Forrada. » (Saga d’Olaf Tryggvason, tom. i.)