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LETTRES SUR L’ISLANDE.

avaient abordé, des moines y avaient séjourné depuis le mois de février jusqu’au mois d’août, et l’on retrouva leurs vestiges. L’Islande était connue d’un autre peuple de marins ; et les Norwégiens, qui avaient déjà exploré tant de rivages, ne la connaissaient pas encore. Le hasard, qui les avait conduits sur des côtes étrangères, fut encore cette fois leur pilote. L’orage les jeta sur cette terre de volcans et d’orages.

Un pirate, nommé Nadodd, s’en allait de Norwége aux îles Ferœ[1]. Un coup de vent le fit dévier de sa route et l’emporta au nord. Il se croyait perdu au milieu de l’Océan ; il aperçut la côte. Lui et ses compagnons amarrent le navire, prennent leurs armes, descendent à terre, et les voilà marchant à travers les champs de lave ; ils promènent leurs regards autour d’eux, et n’aperçoivent aucune trace humaine. Ils prêtent l’oreille et n’entendent aucun bruit. Ils montent sur une colline élevée, et ne voient ni fumée ni habitation. L’Islande attendait sa colonie d’émigrés, et elle était déserte. Nadodd y resta jusqu’en automne. Alors le ciel se couvrit de nuages, la neige tomba sur les montagnes, et, en partant, il nomma la terre qu’il venait de découvrir : Terre de Neige (Snœland)[2].

Ceci se passait en 861. Trois ans après, un Suédois, appelé Gardas, entreprit un voyage aux Hébrides pour y recueillir un héritage : il fut surpris comme Nadodd par une tempête, et jeté sur les rives d’Islande. Il demeura, pendant l’hiver, à Husavik, et, à son retour, loua beaucoup le pays qu’il avait vu[3].

Il n’en fallait pas tant pour séduire l’esprit aventureux des hommes du Nord. Il suffisait de dire qu’on avait découvert une nouvelle contrée. Qu’elle fût riche ou pauvre, n’importe, ils voulaient la voir. En 864, dans une maison norwégienne, le sang du sacrifice coulait sur l’autel des dieux scandinaves, et un pirate, enthousiasmé par tout ce qu’on racontait de l’Islande, se préparait à aller visiter cette terre lointaine. C’était Floki. Il avait voulu se rendre les divinités propices par des prières publiques, et il consacrait à Odin trois corbeaux, qui devaient, à défaut de boussole, le guider dans son excursion. Peut-être avait-il entendu conter l’histoire de Noé dans son arche ; peut-être était-ce alors un moyen employé par plusieurs navigateurs. Quand il eut doublé les îles Ferœ, Floki lâcha le

  1. Je me sers ici d’une expression consacrée par l’usage, tout en protestant contre un de ces abus de langage qui se représentent fréquemment parmi nous. Le mot œ, placé à la fin de Fer, signifie île. Ainsi, en disant les îles Ferœ, nous faisons le plus complet pléonasme qu’il soit possible d’imaginer. Il en est de même de Jersey et Guernesey : la particule ey est islandaise et signifie aussi île.
  2. Landnama bok.
  3. Landnama bok.