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faite, et quoiqu’elle fût peu intime, grace à l’humeur sournoise et taciturne du personnage, nous l’avions préféré à un visage nouveau.

Le pays nous était connu, car nous suivions pas à pas la même route qu’en venant. Les premiers milles se firent sans accident. Nous franchîmes la plaine aux palmes, nous repassâmes le fleuve Bonsfika : tout à coup la scène changea. Le temps s’obscurcit de nouveau, les nuées reparurent sur la montagne, et le vent commençait à nous fouetter au visage de grosses gouttes de pluie ; nous persistâmes néanmoins, espérant que ce ne serait qu’une ondée printanière et que le soleil vaincrait l’orage.

J’ai bien couru le monde, traversé bien des contrées sauvages, essuyé bien des tempêtes ; mais je tiens cette journée pour la plus rude et la plus laborieuse de tous mes voyages. Nous n’avions pas atteint le pied du mont Akbar, que la pluie tombait déjà par torrens. Ce fut bien pis sur la montagne. La tourmente était effroyable ; les grands chênes gémissaient et craquaient sous les coups redoublés du vent ; le ciel était noir et terrible ; l’étroit sentier était converti en fleuve, et, la pluie redoublant toujours, ce fut bientôt une cascade. Perdus dans cet affreux tourbillon, nous marchions en silence, et nul abri ne s’offrait à nous. Nous n’avions même pas la ressource d’échapper à l’orage par la vitesse de nos montures, car leur sabot se perdait dans la boue : il leur fallait, à chaque pas, un effort violent pour le retirer.

Nous fatiguions beaucoup, nous avancions peu. Un dernier espoir nous soutenait : c’était de retrouver le beau temps de l’autre côté de la montagne et de laisser la tempête derrière nous. Mais hélas ! il n’en fut rien. Le ciel était plus sombre encore de ce côté que de l’autre, le vent plus furieux, la pluie plus impétueuse et plus serrée. Aussi loin que nos yeux pouvaient porter, nous ne distinguions que des nuages et de l’eau. L’horizon était implacable ; et, tout le jour, invisible dans les profondeurs des cieux, le soleil ne fit pas une seule percée à travers ce voile immense. Parvenus sur le revers opposé, nous cherchâmes avidement du regard le bassin de Tanger : nous ne vîmes sous nos pieds qu’un vaste lac. Il était trop tard pour revenir sur nos pas ; nous nous armâmes de tout notre courage, et nous descendîmes résolument la montagne pour