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LE MAROC.

nous conduisit dans un infâme bouge, desservi par deux ou trois nègres, dignes du lieu par leur malpropreté. De grandes jarres de terre, scellées dans le mur, servent de baignoires. On ne peut s’y tenir qu’accroupi ; encore n’est-ce pas sans peine, et l’eau y arrive par d’étroites rigoles découvertes comme les chéneaux des toits. Tout cela est loin de l’idée que nous nous faisons en Europe des recherches de volupté et des sensualités orientales ; nous n’eûmes rien de plus pressé que de fuir ce sale réduit. Quelques mois plus tard, je retrouvai à Grenade des bains tout-à-fait semblables ; les mêmes jarres incommodes servaient de baignoires : j’eus là une nouvelle occasion d’admirer la ténacité des usages populaires, qui survivent à la conquête et se perpétuent de siècle en siècle avec une opiniâtreté qui va jusqu’à l’acharnement.

Tétouan est séparé de la Méditerranée par une lande solitaire et triste, où l’on ne découvre pas un toit, pas un arbre. Le fleuve Martil traverse silencieusement ce désert, et va se jeter dans la mer à deux lieues au-dessous de la ville. L’embouchure de ce fleuve est assez large et assez profonde pour recevoir les navires, et quelques faciles travaux suffiraient pour leur permettre de le remonter jusqu’à Tétouan. C’est à quoi l’incurie maure ne songe guère : non-seulement on ne fait rien pour faciliter la navigation de ce canal naturel, mais on laisse le sable et le limon s’accumuler à l’embouchure, au point que les plus petites barques ne pourront bientôt plus y entrer. Cette plage est défendue par une douane fondée sur le plan des douanes espagnoles, et où Achachea introduit toutes les arguties et les rubriques de la fiscalité européenne. On charge là de la laine, des peaux, de la cire, de la gomme, et d’autres produits indigènes. C’est là aussi que la ville de Gibraltar s’approvisionne de bœufs pour la consommation de la garnison. Ces divers objets d’exportation sont soumis à des droits d’autant plus onéreux, qu’ils sont arbitraires, et par conséquent variables. Le commerce étranger est contraire à la loi du Coran ; mais on élude la défense, et l’imagination des casuistes a trouvé un biais merveilleux pour endormir les scrupules des consciences timorées. À chaque transaction, on exige une livre de poudre à canon du contractant européen, car avec la poudre on détruit les infidèles ; ainsi, tout en traitant avec eux, on ne cesse pas de protester, et l’état de guerre est maintenu.