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LE MAROC.

longue station. Satan en personne n’eût pas excité plus d’horreur à la porte d’une église au moyen-âge. Les femmes étaient le plus irritées ; et si on m’eût lapidé, la première pierre fût certainement partie d’une main féminine. Les hommes se contenaient un peu mieux par respect pour le sabre nu de mon janissaire. Celui-ci ne remplissait pas de fort bonne grace la mission protectrice dont le bacha l’avait chargé ; mais l’esprit de discipline et mes piastres faisaient taire ses scrupules. Bon gré mal gré, il tenait à distance les dévots. Il s’engageait parfois, entre eux et lui, des colloques passionnés, dont j’étais l’objet sans nul doute, et qui ne me ménageaient probablement pas, car mon interprète ne me traduisait le dialogue qu’avec une ambiguité diplomatique.

Les adoul et les taleb vivent autour des mosquées. Ce sont les érudits. Ils font le métier de scribes, et habitent dans des échoppes, comme nos écrivains publics. Ils professaient pour nous un souverain mépris qu’ils ne se donnaient pas même la peine de dissimuler, et jetaient sur nous des regards profondément dédaigneux. Lumières des fidèles, ils portent en eux la science divine et humaine ; comment ne mépriseraient-ils pas des mécréans ? Accroupis sur leur table comme des tailleurs, ils écrivent avec des tuyaux de paille, et n’ont d’autre pupitre que la main gauche. Malgré ce simple appareil, leurs caractères sont si nets, leurs lignes si droites et leurs pages si propres, que je ne pouvais me lasser d’admirer leur dextérité. Il est impossible de voir de plus beaux manuscrits, et l’imprimerie, art inconnu à Maroc, ne ferait pas mieux. Il est dommage que de si belles mains soient employées à transcrire de si sottes choses. Quand ils ne copient pas des actes ou des contrats, on peut être sûr que ce sont des recettes d’empiriques, des formules théologiques, ou des extravagances tirées de la cabale et de l’astrologie. Presque tous ces taleb sont d’une beauté remarquable, et ils forment l’élite de la population. Il y a parmi eux d’idéales figures, presque toutes empreintes d’une pâleur qui les rend plus belles, et que rehausse la barbe noire et touffue qui flotte sur leur poitrine.

C’est aussi autour des mosquées que se trouvent les écoles (mektib), pour indiquer sans doute que tout le savoir d’un musulman doit se borner au Coran. C’est en effet par là qu’on commence et par là qu’on finit. Des versets du livre sacré sont écrits