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ront par tous les dieux ; que coûte un serment à qui n’a pas d’honneur ? — Me prends-tu pour un infidèle, pour être esclave de ma parole ? Ne suis-je pas maître d’en changer ? — Cette profession de foi, ou plutôt de perfidie, d’un prince marocain fait suffisamment connaître les principes qui président aux relations diplomatiques de la cour africaine.

La première pensée du gouvernement marocain à la prise d’Alger fut un mouvement de joie et de satisfaction ; il se félicitait de l’humiliation d’un voisin qu’il redoutait et qu’il jalousait encore plus. Il ne croyait pas que le vainqueur s’établît dans sa conquête, et il supposait qu’il rentrerait dans ses foyers, après avoir exigé du vaincu un tribut et des ôtages. Quand il reconnut son erreur et vit le pavillon français arboré sur la kassaba d’Alger pour n’en plus descendre, il commença à changer de ton et à craindre pour lui-même les dangers d’un voisinage plus inquiétant que le premier. Dès-lors un vague effroi, de légitimes alarmes s’emparèrent de lui ; le nom français fut d’autant plus haï, qu’il était plus craint, et je tardai peu moi-même à m’apercevoir à quel point j’étais suspect. Le bruit se répandit que j’étais un ingénieur envoyé par le gouvernement pour reconnaître les abordages de l’empire et lever le plan des forteresses. Aussi eut-on grand soin de me tenir éloigné de la kassaba. L’accès m’en fut interdit, sous le prétexte qu’il n’est permis à nul étranger d’y pénétrer. Et comme je demandais au bacha pourquoi le sultan ne rendait pas plus facile aux navires l’abordage de Tétouan, il me répondit ingénument que cette difficulté même était un rempart que la nature leur avait donné, qu’il serait imprudent, impie, de s’en priver, et qu’ils n’en avaient pas d’autres contre les entreprises des Français. Cet état de suspicion me fit surveiller de fort près pendant tout mon séjour, et en revanche respecter davantage. Le barbare cachait sa peur sous des égards captieux ; mais je n’étais pas sa dupe, et je voyais bien que ces prévenances n’étaient que des inquiétudes déguisées.

Tétouan est, m’a-t-on dit, une ville théocratique ; elle compte jusqu’à trente mosquées. La principale est vaste et imposante. Curieux de juger par moi-même de l’empressement des fidèles, je me mis en sentinelle aussi près que je pus de l’entrée, et malgré leurs regards furieux, leurs murmures menaçans, je fis là une