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REVUE DES DEUX MONDES.

Le souvenir et le lieu faisaient revivre à mes yeux tous ces hommes célèbres ; j’aurais presque pu marquer la place qu’ils avaient occupée sur ce banc. C’était entre ces murs, devant ces horloges de sable arrêtées depuis quatre cents ans, et à ce murmure majestueux et triste du Rhin, qu’ils avaient commencé à faire retentir le grand débat religieux qui devait transformer bientôt l’Europe en un champ de bataille. Quels souvenirs et quelles images !

Je fus arraché à mes méditations par mon guide, qui voulait tout me montrer en détail. La salle du concile de Bâle a eu le sort de tous les monumens historiques ; ce capitole temporaire du monde chrétien est devenu le garde-meuble du sacristain, qui, pour en égayer la nudité, a tapissé les murs de caricatures de Charlet et de Grandville. Une douzaine de vieilles toiles, enveloppées d’un nuage de poussière et accrochées dans un coin, attirèrent pourtant mon attention. Je ne doutais pas que ce ne fussent les images des prélats les plus illustres du concile, et je cherchais déjà le moyen de les examiner de plus près, lorsque mon guide m’avertit que c’étaient les portraits de famille du bedeau.

De l’église à la bibliothèque il n’y a que quelques pas.

§ iii.
HOLBEIN. — ÉLOGE DE LA FOLIE. — LA DANSE MACABRE.

Il y aurait peu de chose à dire de la bibliothèque de Bâle sans la collection précieuse des tableaux d’Holbein, que l’on y montre aux étrangers. Né à Bâle vers 1495, Jean Holbein fut, dans l’acception la plus large du mot, l’un des fondateurs de l’école allemande. Comme peintre et comme homme, il résume en effet dans sa personne les caractères principaux de cette école.

L’existence des grands artistes allemands aux xve et xvie siècles ne fut point ce qu’elle semble au premier aspect : mêlée en apparence à celle des nobles, des rois, des empereurs, elle en demeura pourtant toujours distincte. Ils habitèrent les cours plutôt qu’ils n’y vécurent, et conservèrent leurs entraînemens d’hommes du peuple en dépit de leur entourage. Vainement les banquets des princes les appelaient, vainement les échansons impériaux leur tendaient les hanaps d’or, une invincible pente les conduisait au cabaret. C’est au cabaret qu’ils transportèrent leurs chevalets et leurs pinceaux ; c’est là seulement qu’ils se sentirent à l’aise, qu’ils furent eux-mêmes. Il faut le dire, du reste,