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sant des relais aux ministres du Nord pour aller saluer à Madrid le représentant de la légitimité triomphante. Puis, quand nous aurons accumulé les hypothèses et les miracles, demandons-nous quels hommes seront près de Charles V pour soutenir sa couronne et la rajuster sur son front ? J’aperçois autour de lui des soldats navarrais et des généraux improvisés, pris, pour la plupart, au soc de la charrue, braves gens sans contredit, personnages de roman et de chronique, que j’aime à voir dans le livre du capitaine Henningsen, couverts de leur fourrure d’ours, comme des Klephtes de Thessalie : mais d’hommes d’état et d’administrateurs, pas un seul pour le cabinet ; de grands et de titrés de Castille, presque aucun pour les antichambres royales. Tout cela a courbé la tête sous le veau d’or ; tous les esprits ouverts aux idées du temps, toutes les grandes existences, fatiguées de leurs loisirs stériles, se sont tournés vers la vie politique, et ont reçu avec bonheur Isabelle et le statut royal. Les uns cédèrent au sentiment libéral, les autres à la volonté de Ferdinand VII exerçant sa puissance suprême : entraînement d’esprit ou faiblesse, un abîme les sépare de celui qu’ils ont proscrit.

Mais je prévois la réponse ; je crois l’entendre venir de Saint Pétersbourg et de Vienne : Si don Carlos parvenait à Madrid, il aurait bientôt près de lui ces hommes de modération et de lumières pratiques, auxquels l’Espagne eût dû plus d’une fois confier ses destinées ; quoique principal instigateur de la pragmatique de Ferdinand, le parti afrancisado, dont toutes les vues réformatrices ont été dépassées, n’hésiterait pas à choisir entre la révolution et le roi légitime. Sait-on si ce choix n’est pas déjà fait, si des engagemens ne sont pas pris ? Don Carlos, de son côté, éclairé par les conseils des grandes puissances, ne pourrait manquer d’entrer dans la voie des concessions aux nécessités du temps ; il le promet d’ailleurs en échange des subsides qui lui sont transmis ; il ne pourra se dispenser de prendre leurs hommes, puisqu’il a pris leur argent.

Il n’est pas dans nos habitudes de trancher insolemment de hautes questions et de paraître initié à ce que nous ignorons. Mais on ne donne sans doute rien au hasard en affirmant que telle doit être, relativement à la question espagnole, la pensée des cabinets restés en dehors du traité du 22 avril 1834. Ce qui leurre aujourd’hui les cours hostiles à la royauté d’Isabelle, c’est évidemment l’espoir de constituer la restauration espagnole sur la base des améliorations administratives et d’une large amnistie ; elles sont assurément trop éclairées pour s’associer à une réaction dont les suites seraient si faciles à prévoir. Or, j’ose dire que c’est là une pure illusion pour qui se rend un compte sincère et de l’état de l’Espagne et du mouvement politique de ce pays depuis 1814. En admettant que don Carlos, sacrifiant ses répugnances aux conseils de ses alliés, faisant