Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/656

Cette page a été validée par deux contributeurs.
652
REVUE DES DEUX MONDES.

sente la hiérarchie pacifique de l’époque actuelle. Qu’on se rappelle l’expédition de George Bessières et d’Ulmann, lorsque dans les premiers jours de 1823, au moment même où l’armée de la foi était détruite et perdait ses derniers refuges, ils partirent du fond de l’Aragon avec moins de trois mille hommes pour s’emparer comme Gomez de Guadalaxara, et arriver aux portes mêmes de Madrid qu’ils faillirent surprendre et soulever : sorte d’entreprise qu’ailleurs on nommerait insensée, et qui, en Espagne, semble à peine jugée téméraire.

En donnant à ces indices graves la haute attention qu’ils méritent, en réfléchissant à l’audacieux génie de ce peuple, au sein duquel l’ordre social perd de plus en plus la force de se défendre, il n’est peut-être pas chimérique d’exprimer quelques conjectures sinistres. Si la Barbarie passait d’un côté à l’autre de la Méditerranée, si ce peuple se vengeait un jour sur l’Europe qui l’abandonne, si nos enfans devaient intervenir contre des brigands et des pirates, parce que leurs pères auraient refusé d’intervenir contre des partis, pense-t-on que notre politique eût beaucoup d’excuses à leurs yeux ?

Ce n’est pas à l’opinion carliste qu’il est donné d’arrêter cette effrayante décomposition. Pour apprécier ses chances de succès, il faut se rappeler que ce parti ne put rien par lui-même avant 1823, aidé du concours de la France et d’un crédit politique et financier qu’il n’a plus. L’intervention le releva seule d’une ruine déjà consommée, et cependant il disposait alors d’une immense force morale qui semble se retirer de lui. C’était la croix à la main que le trappiste escaladait la Seu d’Urgel, et les populations catalanes le suivaient au combat comme au martyre. De toutes les chaires du royaume partaient alors des appels à l’insurrection ; partout les ecclésiastiques dirigeaient les juntes locales et stimulaient les efforts d’un parti dont la dénomination religieuse révélait le caractère.

On n’entend pas contester l’identité de la cause carliste avec celle dont l’armée de la foi poursuivait le triomphe ; il est de plus manifeste que le clergé a autant et plus souffert, dans ses intérêts matériels, de la révolution actuelle que de celle de 1820. Néanmoins on ne saurait nier, de l’aveu de tous les hommes qui ont observé l’Espagne depuis l’origine de la lutte dynastique, que le clergé n’y soit resté généralement passif dans son action, quelles qu’aient été ses sympathies secrètes. Que celles-ci soient acquises à don Carlos, c’est ce que nous croyons sans peine, et la révolution ne s’est montrée ni assez juste ni assez grande pour avoir le droit de s’en plaindre. Mais il est certain, ainsi l’attestent les organes de toutes les opinions, que la conduite du clergé séculier a été presque toujours marquée au coin de la prudence et de la réserve, que tous les évêques, un seul excepté, sont restés dans leurs siéges épiscopaux, et que