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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

possible de la régénération de l’Espagne. Nous serons en mesure de démontrer plus tard que si ce pouvoir a succombé devant une minorité sans force réelle, on doit moins l’imputer à l’impuissance virtuelle de l’opinion qu’il représente, qu’à des circonstances extérieures et pour ainsi dire excentriques, incapables sans doute de fixer l’avenir des peuples, mais qui suffisent trop souvent à leur préparer de longues épreuves et d’indicibles douleurs.

Trois partis se partageaient et divisent encore l’Espagne : l’un se rallie au nom de don Carlos, les deux autres se rattachent à la royauté d’Isabelle II, celui-ci avec la constitution de 1812, celui-là avec le statut royal. Quelle est leur force matérielle et leur puissance morale ? que promettent-ils à la Péninsule, et que peuvent-ils pour elle ?

Si le sort des peuples pouvait se décider à la majorité numérique, et si nous appartenions sur ce point à l’école du général Lafayette, nous ne savons pas trop s’il serait possible d’échapper en Espagne à la légitimité de Charles V. En reconnaissant que cette opinion n’existe plus dans les masses à l’état de croyance exaltée, et que la source du dévouement est aussi manifestement tarie pour le parti de la foi que pour le parti révolutionnaire, il semble difficile de contester que le nom du prétendant n’obtint encore les plus nombreux suffrages, si on les comptait par tête, en plaçant l’élite de la nation sur le pied d’une parfaite égalité avec les montagnards des Pyrénées et les contrebandiers des Alpuxaras. Mais il se trouve que don Carlos, qui, par son droit salique datant du xviiie siècle, devrait représenter les idées modernes contre l’héritière des vieilles reines de Castille, est, par les plus étroits engagemens de sa vie, la vivante expression d’une nationalité qui se transforme, comme le czaréwitz Alexis le fut contre son père. Or, si dans les vastes domaines des Ivan, la solitaire pensée d’un homme triompha de l’énergique volonté des peuples, de leur histoire et de leur génie, si l’Asie recula devant l’Europe, l’Espagne reculera devant la France.

Dans la Péninsule, cette cause a pour elle mieux qu’un grand homme, elle est assise sur un parti qui n’a jamais plus avancé son œuvre que lorsqu’il a dû céder la place à d’ineptes adversaires.

Nous nous défions des formules où l’on encadre les destinées des peuples sans rien laisser à faire ni à Dieu ni aux hommes : comment ne pas admettre pourtant qu’il y a dans l’esprit français une force intime, un élément général et providentiel, base future d’une nouvelle unité ? Quel est le grand mouvement intellectuel ou social qui ne soit devenu européen ? L’unité romaine absorba les Gaules et l’Ibérie, et la pensée chrétienne a transformé le monde. L’organisation féodale, diversement modifiée, à son tour enlaça l’Europe, qui s’agite aujourd’hui sous des idées d’autant plus puissantes, que la France est parvenue à les contenir et à les régler.