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BÂLE.

Des éclats de rire s’élevaient des deux parts et l’on oubliait un instant la discussion ; mais elle reprenait bientôt plus vive et plus amère. Étrange scène et plus étranges acteurs dont rien ne pourrait nous donner maintenant une idée si nous n’avions pas les hustings d’Irlande et les discours du grand agitateur !

La salle où se tint le concile de Bâle dépend, comme nous l’avons dit précédemment, de l’église Saint-Maurice. Sa grandeur est médiocre. Un banc de bois, scellé dans le mur et recouvert d’un grossier coussin, en fait le tour. Deux clepsydres, qui servirent d’horloge aux prélats du concile sont encore accrochés au mur près d’une copie de la fameuse danse macabre.

Je ne pus me défendre d’une certaine émotion en me trouvant dans cette salle qui avait retenti de tant de paroles solennelles, de tant d’anathèmes terribles, de tant d’arguties sanglantes. Je me représentais assis sur ce banc circulaire les prélats venus de tous les coins de l’Europe pour passer la foi au creuset ; vieillards graves et chauves dont les mains défaillantes tenaient un livre pour bouclier, une plume pour épée, et qui, avec ce livre et cette plume, brisaient les armées, ébranlaient les trônes et forçaient les portes des villes. Je les voyais tous avec leurs robes traînantes, leurs yeux penseurs, leurs attitudes humblement impérieuses. Ici, c’était Jean de Ségovie, savant hardi, venu d’Espagne, et qui étudiait déjà en secret le Coran qu’il devait un jour traduire ; là, Æneas Sylvius, encore caché dans la foule, et qui, à force de sourire à ses voisins et d’éviter les coudes de tout le monde, devait parvenir à la chaire de Saint-Pierre ; plus loin, je voyais Louis Aleman, le grand cardinal d’Arles, tout pâle de vertu et d’austérité, homme de bronze sur lequel ne prenait ni la calomnie ni la menace, qui bravait du même œil une peste et un pape, et auquel on avait déjà donné le surnom d’Hector du concile ; à côté de lui, se tenait le légat Julio Cesarino, politique vulgaire, habile seulement à rompre des traités, et qui devait payer ses deux plus grandes trahisons, l’une de son honneur, l’autre de sa tête ; puis, venait la foule moins célèbre : c’était Louis, patriarche d’Aquilée, destiné à mourir peu après la déposition d’Eugène IV, avec la consolation d’apporter cette nouvelle dans l’autre monde[1] ; c’était Gilles Charlier, esprit doux et humble cœur, qui avait osé dire que ce n’était pas avec les armes que l’on éclaircissait la vérité ; c’était le fougueux Jean de Raguze, entassant toujours ses syllogismes sous forme de bûcher, Philibert-Auguste, évêque de Coutance, et le poétique Jean de Polemar, dont les paroles semblaient un écho de la harpe de David.

  1. Æneas Sylvius.