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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

tenable position, et pourtant cette étrange doctrine ne fit-elle pas le fonds du système ministériel pendant cette année, qui pouvait être décisive pour le sort de l’Espagne[1] ?

Immobile dans sa pensée et sa confiance, M. de Zéa ne parut prendre garde ni à la guerre de Navarre, conduite alors par Saarsfield avec une lenteur fort équivoque, ni au mouvement des provinces, où l’autorité, pour résister au parti carliste, avait dû susciter l’ancienne opinion libérale. Exclusivement préoccupé de concilier au gouvernement de la reine l’adhésion du corps diplomatique, il ne voyait pas qu’il était beaucoup moins urgent de retenir le ministre de Russie à Madrid que d’empêcher don Carlos d’y arriver, et répétait sa devise : pas de concessions, alors qu’il en faisait chaque jour aux plus impérieuses nécessités.

L’opposition de quinze ans, par son hostilité systématique et incessante, n’avait pas peu contribué à persuader aux royautés européennes que chaque concession était en même temps un acte d’inhabileté et de faiblesse, un pas gratuitement fait vers l’abîme, opinion que le gouvernement espagnol n’était pas alors en mesure de professer, et sur laquelle, d’ailleurs, il est bon de s’entendre. S’il est des temps où les concessions deviennent des armes pour l’ennemi, il en est d’autres où ce sont des armes que l’on s’assure, des positions où l’on s’établit. Louis XVI avant le serment du jeu de paume, Ferdinand VII avant l’insurrection du 7 mars 1820, pouvaient faire des concessions précieuses pour l’autorité royale ; après cette époque elles étaient devenues inutiles. Les sacrifices de Ferdinand à son retour d’Aranjuez, l’adhésion de Louis aux décrets contre les émigrés et les prêtres non assermentés, ne les dérobèrent pas à de nouvelles exigences, de même que Charles Ier, en sanctionnant l’exclusion des évêques de la chambre des lords, n’échappa point aux menaçantes réclamations des communes pour le bill de la milice.

Le pouvoir ne doit pas plus s’appuyer sur les couches molles de la société que l’architecte sur le sable ; il doit aller jusqu’au cœur des intérêts fixes et dominans pour s’asseoir imperturbablement sur eux. Qui peut douter, par exemple, que si la branche aînée des Bourbons, au lieu de revenir au 8 août sur les concessions faites au centre droit par la formation du ministère Martignac, les eût poussées jusqu’au centre gauche, essayant de M. Périer, au lieu de se livrer à M. de Polignac, rétablissant la garde nationale de Paris au lieu de préparer les ordonnances, qui peut douter que la restauration n’eût augmenté ses chances, au lieu de les amoindrir ? Il y a raison de penser également que si le ministère Martinez de la Rosa avait été formé à la mort de Ferdinand VII, au lieu de pa-

  1. Voyez le manifeste de la régente, 4 octobre 1833.