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pour fondre le minerai, affiner le métal et laminer les lingots, M. Delavigne a pris son temps ; quand la garniture s’est trouvée prête, la pierre avait disparu, ou du moins ne demandait plus à être montée. C’est là, si je ne me trompe, l’histoire de la Popularité que nous aurons cet hiver, à moins que M. Delavigne, pour achever son cinquième acte, n’attende le couronnement de l’empereur d’Autriche à Milan, ou la solution de la question espagnole.

Quelle que soit la perfection grammaticale de la nouvelle comédie, lors même que les hémistiches de M. Delavigne lutteraient de précision et de régularité dans leurs mouvemens avec les régimens prussiens, il manquera toujours à la Popularité en cinq actes et en vers un élément de succès indispensable à toutes les comédies politiques, l’opportunité. C’est un malheur sans doute, mais un malheur qu’il était facile de prévoir. Après avoir versifié dans ses Messéniennes la colère de la presse libérale, M. Delavigne devait naturellement continuer sur les iambes d’Auguste Barbier l’œuvre patiente et impersonnelle commencée sur la prose de MM. Étienne et Arnault. Sa mission n’est pas et n’a jamais été de guider la génération à laquelle il s’adresse, mais de suivre ceux qu’elle écoute.

MM. Hugo et Dumas, tout entiers à la construction de leur théâtre, ne promettent rien au Théâtre-Français. L’auteur d’Henri III n’a pas encore tiré de ses lectures érudites la tragédie de Caligula qui devait nous inspirer pour le Britannicus de Jean Racine une pitié si douloureuse. Tacite et Suétone attendent encore un interprète digne du goût de la France et de la corruption romaine. Quelle que soit l’habileté de nos architectes, nous ne pouvons guère espérer Caligula avant octobre 1837 ; car sans doute les pensionnaires de l’école de Rome, appelés à présenter des projets pour l’érection du second théâtre français, voudront produire une œuvre durable, et trois cents jours suffiront tout au plus pour construire une salle honorable. Il n’est plus question de Madame de Maintenon, dont le principal rôle avait été offert à Mlle Mars, et qui devait placer M. Hugo entre Molière et le duc de Saint-Simon. Nous ne savons pas si M. le comte Septime de Latour-Maubourg s’est montré plus empressé que M. de Rayneval, s’il a expédié à l’auteur d’Hernani les pamphlets publiés en Espagne sur les relations de Madrid et de Versailles. Il nous semble que cette question n’est pas sans importance ; et M. Molé s’empressera sans doute d’enjoindre à notre ambassadeur de fouiller toutes les bibliothèques de la Péninsule, et de faire transcrire par ses secrétaires tous les documens inédits dont M. Hugo peut avoir besoin pour écrire sa comédie. Car sa comédie est historique, et, pour mériter le titre qu’elle portera, il est bon qu’elle n’emprunte pas à la seule histoire, à l’histoire authentique et avérée, les caractères et les scènes