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fille de ses propositions luxurieuses, et finit par proclamer le dogme de la fatalité en face de Notre-Dame. Nous aimons mieux nous occuper d’une curieuse préface mise en tête de cette nouvelle production de M. Hugo. L’auteur y parle, dans le style du duc de Saint-Simon, d’une illustre visite que l’Opéra a reçue autrefois de Corneille et de Molière, et, tout confus d’avoir écrit un libretto, comme il dit, cherche à s’autoriser de l’exemple des grands maîtres de la scène française ; en vérité, la chose n’en valait pas la peine, et l’amende honorable était au moins inutile. La visite de M. Hugo à l’Opéra aura servi à rendre unanime cette opinion que beaucoup d’honnêtes gens partageaient depuis long-temps, à savoir que M. Scribe est un homme fort habile à tailler un poème de théâtre, et même à l’écrire ; et si le public a jugé de la sorte, il faut moins en accuser l’extrême faiblesse des moyens dramatiques mis en œuvre dans la Esmeralda, que l’insuffisance des paroles et leur peu d’harmonie avec la musique. Puisqu’il est bien convenu que nous ne sommes pas des Italiens de Naples et de Florence, et que notre musique n’a rien à faire avec ces paroles de miel et de rose, inventées en un jour de soleil pour les gosiers sonores de la Malibran et de Rubini, tâchons au moins de façonner notre langue, le plus modestement possible, aux exigences de l’art divin qu’elle est destinée à servir. C’est d’ailleurs une vérité reconnue aujourd’hui, que des paroles claires, faciles, écrites avec le sentiment du rhythme et de la mesure, et dans lesquelles la simplicité ne dégénère point en niaiserie, valent cent fois mieux pour la musique que toutes ces rimes laborieusement accouplées et ces antithèses prétentieuses, qui ne cherchent qu’à faire voir au public leur mine fardée et leurs paillettes à travers le voile transparent de l’harmonie.

Maintenant, avec les qualités réelles que nous nous plaisons à lui reconnaître, et les éclairs dramatiques qui traversent ses partitions, Mlle Bertin est-elle destinée à composer pour le théâtre ? Franchement, nous ne le croyons pas. Il y a dans le talent des femmes une corde suave et douce qui en fait presque tout le charme, et dont la vibration se perd dans les vastes salles. Cette mélodie, qu’on sait naturellement délicate et dont on aime jusqu’à la faiblesse, a mauvaise grace à vouloir enfler sa voix pour exprimer autre chose que la mélancolie et les tendres affections du