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où l’on sent que sa pensée est mal à l’aise et dont elle a hâte de sortir. En revanche, le duo, dans la prison, est un morceau conçu dans les plus vastes dimensions, plein de verve dramatique, d’énergie et de puissance. J’arrive à l’air de Quasimodo. Le grotesque sonneur est couché sur les degrés de Notre-Dame. L’aurore commence, il s’éveille ; l’air frais du matin, le chant des oiseaux, les bruits de la nature, le mettent en joyeuse humeur ; il se lève ; il marche, il se frotte les mains, il essaie de sourire ; bientôt une pensée heureuse éclot dans cette ame recouverte d’une si bouffonne enveloppe, il chante : la musique exprime en un clin d’œil tout le caractère de cet être. C’est une mélodie franche, vive, bruyante, moitié sérieuse, moitié comique, à la fois pleine de larmes et de rire ; tantôt il l’attaque de toute sa force et la rudoie ; tantôt il la retourne et la caresse. Quand il a fini de s’en amuser, l’orchestre s’en empare et la travaille de la plus originale façon. Il semble que toutes les cloches sonnent, et pourtant l’orchestre seul est en branle. Regardez dans l’instrumentation, vous y verrez tout le mystère. Voilà un effet curieux et puissant, et qui ne sort pas des limites de l’art. Point d’attirail matériel, point d’instrumens étrangers à la musique, point de cloches, point de machines à bruit. Il y a là, pour M. Hugo, de quoi se pendre.

Comme il faut toujours que la malveillance intervienne, on a prétendu que cet air n’était pas de Mlle Bertin, mais d’un musicien dont le nom a jusqu’ici fait plus de bruit que l’œuvre qui n’est guère appréciée encore que d’un petit cercle d’amis dévoués. Étrange raisonnement, qui tombe de lui-même ! En effet, s’il arrivait, par fortune, au musicien dont nous parlons, de trouver une mélodie semblable, croyez bien qu’il ne serait pas si galant que d’en aller faire hommage à son prochain, fût-ce même à la fille du directeur du Journal des Débats. Il la garderait pour lui soigneusement, et n’aurait certes pas tort. Puisqu’on était en train d’inventer à propos de cet air, il fallait se mettre un peu plus en frais d’imagination, et l’attribuer à quelque maître illustre, à M. Meyerbeer, par exemple ; la chose aurait eu, de cette façon, quelque apparence de réalité. Le finale, sauf la première phrase, manque du souffle et de l’ampleur nécessaires à une composition de cette importance. Il est vrai de dire que ces défauts pouvaient bien ne pas exister dans le principe, attendu que Mlle Bertin avait écrit d’abord ce morceau