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tative au moins imprudente, où tout autre que Rossini doit échouer de notre temps. Or, il n’en était pas ainsi des ébauches que M. Hugo livrait à Mlle Bertin. Les œuvres du génie ont en elles une sublime empreinte, un caractère sacré que rien ne leur enlève, ni la fusion, ni les coups de marteau ; pour traiter avec elles, il faut être grand et de la famille des créateurs. Je vous le demande, cette chose peut-elle se dire des figures singulières qu’invente l’imagination de M. Hugo, personnages qui n’ont d’humain que le costume, sortes de marionnettes qu’on déshabille et qu’on habille de nouveau selon qu’il convient au caprice du moment ? témoin Phoebus qui dépouille tout à coup son insouciance de soldat pour revêtir je ne sais quelle cape d’amoureux transi, faite à la taille d’un héros de ballade. Ici le musicien est à son aise avec ses caractères, il peut en agir familièrement avec eux ; il souffle dessus, les met à néant et les recompose ; seulement, il est à craindre que, même après sa transformation, le personnage ne garde en soi quelque chose de la laideur et des infirmités de sa première vie, dont la musique, art tout divin, ne peut s’accommoder en aucune façon. L’art de Cimarosa et de Mozart ne s’allie qu’à des élémens nobles et purs : on peut bien jeter une immondice dans l’or qui bout ; le métal auguste la dévore aussitôt avant qu’elle se soit mêlée à son essence, ou la repousse avec dédain après l’avoir un instant ballottée entre ses ondes.

La musique de Mlle Bertin a la prétention d’appartenir à l’école allemande, et c’est là peut-être son plus grand tort ; douée comme elle est du don si rare de la mélodie, il semble que Mlle Bertin aurait dû suivre l’exemple de Bellini, et ne faire que chanter. On ne court jamais grand risque à s’abandonner à la voix intérieure ; l’inspiration ne trompe personne, et l’auteur de Norma, grace à cette corde mélancolique et tendre qui vibrait naturellement dans son ame, gardera long-temps encore, à la droite de Paisiello, une place que bien des illustrations de ce temps lui envieront quelque jour du fond de leur oubli. Élevée dans le culte des maîtres de l’art, Mlle Bertin a sans contredit le sentiment du grandiose et du beau, et nous ne doutons pas que ce ne soit une sainte horreur dont elle est possédée pour tout ce qui est commun et banal, qui l’ait jusqu’à présent retenue loin de l’Italie, où du reste les imitateurs fourmillent. Nous avons peine cependant à concevoir comment