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les ambitieuses tergiversations et les lâchetés calculées remettaient sans cesse en question ce qui avait été décidé la veille, et dont Platine a dit ingénuement dans un éloge flétrissant : qu’il était constant à garder ses promesses, à moins qu’il n’y eût plus d’inconvéniens à tenir sa parole qu’à la rétracter[1] ?

Le concile de Bâle se posa comme intermédiaire entre les hérétiques et le pape ; mais il se montra plus hostile peut-être à ce dernier qu’aux autres, et plus jaloux de réprimer les envahissemens du saint-siége au détriment des libertés de l’église, que de défendre contre les schismatiques la pureté de la foi. Du reste, cette opposition ecclésiastique à l’omnipotence papale était l’avant-coureur de la grande insurrection protestante ; les esprits mûrissaient pour la réforme, et les jours du grand Luther n’étaient pas loin.

L’acte le plus important du concile de Bâle fut l’essai de conciliation entre l’église orthodoxe et les Bohémiens hussites, calixtins et thaborites. Ce fut un curieux et grand spectacle pour la ville entière, que celui de ces trois cents députés de Bohème arrivant à Bâle pour défendre leurs fameuses propositions. « Tout le peuple, dit Æneas-Sylvius, se répandit dans la cité et hors la cité, pour les voir entrer. Il se trouvait même dans la foule plusieurs membres du concile, attirés par la réputation d’une nation si belliqueuse. Hommes, femmes, enfans, gens de tout âge et de toute condition, étaient dans les places publiques, ou aux portes, ou aux fenêtres, ou même sur les toits pour les attendre. On se montrait au doigt celui-ci, puis celui-là. On était émerveillé de voir des habits étrangers, des visages inconnus et menaçans ; car c’étaient des hommes noirs, tannés par la bise et le soleil, et nourris à la fumée des camps. Ils avaient l’aspect terrible, des yeux d’aigle, des cheveux hérissés, une barbe épaisse, des corps d’une hauteur prodigieuse, des membres tout velus et la peau si dure, qu’elle aurait résisté au fer comme, une cuirasse[2]. » À leur tête était Procope, auquel on avait donné le sobriquet de Raze, parce qu’un oncle l’avait fait ordonner prêtre autrefois ; mais depuis long-temps sa tonsure avait disparu sous le casque de guerre. Les spectateurs se montraient l’un à l’autre cet homme au nez recourbé comme un oiseau de proie, aux yeux ronds, à la moustache de tigre, et l’on se disait : « C’est celui-là qui tant de fois a mis en fuite les armées des fidèles, qui a renversé des villes, qui a massacré tant de milliers d’hommes, chef aussi redoutable aux siens qu’aux ennemis eux-mêmes[3]. »

  1. Platine. Vie d’Eugène, pag. 290.
  2. Æneas Sylvius, cap. xlix.
  3. Æneas Sylvius, ubi suprâ.