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LES HUMANITAIRES.

moyens de perfection ; c’est quelque chose sans doute, au moral, comme un établissement orthopédique, à moins que par là on entende seulement le rudiment et l’école primaire ; mais il n’y a rien de moins perfectionnant. Que diantre cela peut-il être ? Nous ôtera-t-on nos cinq sens de nature ? nous en donnera-t-on un sixième ? Les chauves-souris, dit-on, sont ainsi bâties ; triste perspective pour nous que de ressembler à pareille bête ! c’est à faire dresser les cheveux. Mais, bon ! c’est une fantaisie ; nous nous alarmons à tort ; quand on tournerait cent ans autour de mes pieds, on ne perfectionnerait jamais que mes bottes ; la raison seule doit nous rassurer. Comment, cependant, croire que c’est là tout ? S’il ne s’agissait que de faire des routes, ou des ballons, ou des lampes, on ne crierait jamais si haut ; Adam lui-même perfectionnait à sa mode, quand il bêchait dans le paradis ; il faut qu’il y ait quelque mystère. Seraient-ce nos passions que l’on corrigerait ? Par Dieu ! ce serait une belle merveille que de nous empêcher d’être gourmands, ivrognes, menteurs, avares, vicieux ! et, si j’aime les œufs à la neige ? me défendrez-vous d’en manger ? Et si mon vin est bon, ou le vôtre, à vous qui parlez, et si votre femme… vous me feriez dire quelque sottise ; non, ce ne doit point être encore cela. Ouvrirait-on quelque grand gymnase pour nous y administrer, au nom du roi, une éducation jusqu’alors inconnue ? Mais nous voilà encore à Sparte ; je ne m’en tirerai jamais. D’ailleurs, qui ose décider, ici-bas, entre un savant et un ignare, lequel des deux est le plus parfait, ou le moins sot, pour parler net ? Helvétius dit, il est vrai, que toutes les intelligences sont égales ; mais, en cela, il fit tort à la sienne, car pour plâtrer sa balourdise, il fut obligé d’ajouter que la différence entre les hommes résultait du plus ou du moins d’attention qu’ils apportent à leurs études ; belle découverte ! Passons donc plus loin. Serait-ce qu’au moyen de certaines lois on changerait tellement nos mœurs et le milieu dans lequel nous vivons, que, doucement et sans effort, on nous rendrait ce paradis terrestre dont nous parlions tout-à-l’heure ? Mais si nous ne sommes plus à Sparte, nous voilà en pleine utopie. Diable ! je commence à croire derechef qu’on se moque de nous pour nous faire peur ; car comment nous perfectionner, du moment que nous restons hommes ? on se tâte sans le vouloir en pensant à ces choses-là. Serait-ce