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LES HUMANITAIRES.

propose les langes de New-York ou la tunique trouée de Lacédémone ? On dit à cela, et on va répétant, que les nations doivent se régénérer quand elles se sentent décrépites ; cela fut vrai pour le monde romain, et que Dieu veuille nous le rendre ! Mais si pareille chose nous peut arriver, où ont-ils étudié, nos modernes prophètes, pour ignorer la maxime la plus vraie, peut-être la plus triste de l’antiquité ? « Ce qui a été une fois ne peut ni être une seconde fois ni s’oublier tout-à-fait. » Oui sans doute, il en faut convenir, deux révolutions, coup sur coup, nous ont donné une rude secousse ; sans doute nous sommes en travail, et, pour parler une fois ce langage, sans doute l’humanité se régénère en nous. L’état n’a plus de religion, et, quoi qu’en disent les humanitaires eux-mêmes, c’est pour le peuple un vrai malheur ; le vin à bon marché ne lui rend pas ce qu’il y perd, et tous les cabarets de Paris ne valent pas pour lui une église de campagne, quel qu’en soit d’ailleurs le curé ; car c’est l’oubli des maux qu’on y fête, et l’espérance qu’on y reçoit dans l’hostie. Oui sans doute, parmi tant de nations, la France a sonné la première un tocsin qui ébranle l’Europe ; elle en est elle-même effrayée, et le son terrible retentit en elle ; mais si nos docteurs veulent nous guérir, s’ils veulent changer le monde, ou la France, ou seulement un département, qu’ils inventent donc quelque système dont des livres ne parlent pas ! Qu’ils oublient donc les phrases du collége, et qu’ils ne revêtent pas de mots futiles le squelette des temps passés ! Car sous tant de discours, sous tant de formules, sous tant d’habits ridicules, sous tant d’exaltations peut-être sincères, louables en elles-mêmes, que germe-t-il ? Quel filon découvert ? Que saisir dans ce labyrinthe où Ariane nous laisse à tâtons ? Vous avez du moins, dites-vous, la bonne volonté de bien faire. Eh ! pauvres enfans, qui en doute ? Volonté de vivre, à qui manque-t-elle ?

Nous nous adressons ici, monsieur le directeur, à la section humanitaire qui nous paraît vouloir quelque chose. Mais nous devons encore nous adresser à celle qui ne nous semble pas savoir au juste ce qu’elle désire (car, dans tout cela, vous vous en souvenez, nous ne faisons que des questions). Or il est certain que, dans la capitale, il y a un nombre de jeunes gens, femmes, hommes mûrs, vieillards enfin, qui font entendre journellement une sorte de soupirs et de demi-rêves où l’avenir est entrevu ; bonnes gens d’ail-