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BÂLE.

tout, des nombres abstraits et insignifians par eux-mêmes, auxquels les ambitieux donnent une valeur. Instrumens dociles, elles se laissent aller à la main qui les pousse, font et défont leurs libertés avec le même aveuglement et la même insouciance. Il est certain que lorsque les discussions commencèrent entre Bâle-Ville et Bâle-Campagne, aucun motif grave de discorde n’existait. Si les hommes de Bâle-Ville qui étaient au pouvoir gouvernaient avec une dignité un peu raide, du moins y avait-il chez eux bon vouloir et impartialité. Mais depuis long-temps la haine s’amassait dans certaines ames que l’on avait froissées à l’endroit de leur amour-propre. Une sourde agitation couvait dans les villages. L’orage éclata enfin : la loi électorale en fut le prétexte. D’après cette loi, le grand conseil se composait de députés choisis par Bâle-Ville et par Bâle-Campagne, en nombre inégal, mais non proportionnellement à leurs populations respectives. Bâle-Campagne ne se contenta pas de nommer la majorité des membres, elle demanda que cette majorité fût en rapport mathématique avec celle de ses électeurs. C’était réduire la ville à une minorité insignifiante ; elle résista, et la discussion en arriva bientôt à un point qui laissait peu de chances d’accommodement. Cependant quelques esprits concilians s’entremirent, et l’on convint de part d’autre d’en appeler à une constituante qui se chargerait de réviser le pacte cantonnal. Mais lorsqu’il s’agit d’élire les membres de cette constituante, une nouvelle difficulté se présenta. La ville et la campagne devaient-elles nommer des députés d’après la charte qui existait ou d’après le système que l’on voulait y substituer. La question primitive reparaissait dans toute sa force, et l’affaire se trouvait ramenée exactement à son point de départ. Ainsi enfermés dans un cercle vicieux, les députés de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne firent d’inutiles efforts pour s’entendre ; ils se séparèrent après de longues et amères discussions qui n’eurent pour résultat que d’affermir davantage chacun dans son opinion. Ce fut alors que parut le manifeste de la campagne par lequel elle déclarait rompre l’union et proclamait son indépendance. Les Bâlois considérèrent cet acte comme une déclaration de guerre ; et, résolus à maîtriser ce qu’ils appelaient une émeute de paysans, ils réunirent leurs troupes, s’armèrent eux-mêmes et marchèrent contre le bourg principal dont les révoltés avaient fait le siége de leur nouveau gouvernement. Le succès d’une telle expédition leur paraissait tellement certain, qu’ils annoncèrent, en partant, l’heure à laquelle le drapeau de Bâle-Ville flotterait sur le bourg conquis. Les habitans montèrent en conséquence sur les remparts et sur les clochers pour attendre le signal des vainqueurs ; mais au bout de quelques heures, ils aperçurent tout à coup, sur la route, une foule en désordre qui fuyait vers la ville, couverte de poussière et de sang. C’était l’armée bâloise