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Leudaste, calculant dans sa pensée le fort et le faible de tous les supplices, pour découvrir ce qui réussirait le mieux à contenter la vengeance de la reine. Après de mûres réflexions, faites avec un sang-froid atroce, Hilperik trouva que le prisonnier, grièvement blessé comme il l’était, et affaibli par une grande perte de sang, devait succomber aux moindres tortures, et il résolut de le faire guérir, pour le rendre capable de supporter jusqu’au bout les tourmens d’un supplice prolongé[1].

Confié aux soins des médecins les plus habiles, Leudaste fut tiré de sa prison malsaine et transporté hors de la ville, dans l’un des domaines royaux, afin que le grand air et l’agrément du lieu rendissent plus prompte sa guérison. Peut-être, par un raffinement de précautions barbares, lui laissa-t-on croire que ces bons traitemens étaient des signes de clémence, et qu’il deviendrait libre en retrouvant la santé ; mais tout fut inutile, la gangrène se mit dans ses plaies de la tête et de la jambe, et il tomba dans un état désespéré[2]. Quand ces nouvelles parvinrent à la reine, elle ne put se résoudre à laisser son ennemi mourir en paix, et tandis qu’il restait encore un peu de vie à lui ôter, elle commanda qu’on en finît avec lui par un supplice bizarre que, selon toute apparence, elle se donna le plaisir d’imaginer. Le moribond fut arraché de son lit et étendu sur le pavé, la nuque du cou appuyée contre une énorme barre de fer, puis un homme armé d’une autre barre l’en frappa sur la gorge, et répéta ses coups jusqu’à ce qu’il eût rendu le dernier soupir[3].

Ainsi se termina l’existence aventureuse de ce parvenu du vie siècle, fils d’un serf gallo-romain, et élevé par un coup de la faveur royale au rang des nobles chefs des conquérans de la Gaule. Si le nom de Leudaste, à peine mentionné dans la plus volumineuse des histoires de France, méritait peu qu’on le tirât de l’oubli, sa vie, mêlée intimement à celle de plusieurs personnages célèbres, offre l’un des épisodes les plus caractéristiques de la vie générale

  1. Fulsitque rex ut substentaretur à medicis quoadusque ab his ictibus sanatus, diuturno supplicio cruciaretur. (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 283.)
  2. Sed cùm ad villam fiscalem ductus fuisset, et computrescentibus plagis extremam ageret vitam… (Ibid.)
  3. Jussu reginæ in terram projicitur resupinus, positoque ad cervicem ejus vecte immenso, ab alio ei gulam verberant : sicque semper perfidam agens vitam, justa morte finivit. (Ibid.)