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allait se livrer lui-même, faute de jugement et de prudence. Il fit venir le beau-père de Leudaste, et lui montrant ce billet d’un laconisme sinistre, il le conjura de faire en sorte que son gendre usât de circonspection et se tint caché de nouveau jusqu’à ce qu’il fût bien sûr d’avoir adouci l’esprit de la reine[1]. Mais ce conseil inspiré par la charité évangélique fut mal compris et mal reçu ; Leudaste, jugeant d’autrui par lui-même, s’imagina qu’un homme dont il était l’ennemi ne pouvait songer qu’à lui tendre des embûches ou à lui jouer de mauvais tours. Loin de devenir plus circonspect, il fit comme s’il eût pris l’avertissement au rebours, et, passant de la sécurité à l’audace la plus téméraire, il résolut d’aller, de lui-même, se présenter devant le roi Hilperik. Il partit de Tours au milieu de l’année 583, et se dirigea vers la ville de Melun, que le roi attaquait alors, et dont il faisait le siége en personne[2].

Ce siége ne devait être que le prélude d’une invasion totale des états du roi Gonthramn, invasion projetée par Hilperik, du moment où il avait vu ses premiers désirs d’ambition réalisés par la conquête de presque toutes les villes d’Aquitaine. Devenu en moins de cinq années, grâce à l’habileté militaire du chef gallo-romain Desiderius[3], seul maître du vaste territoire compris entre la Loire, l’Océan, les Pyrénées, le cours de l’Aude et les Cévennes, il conçut, peut-être à l’instigation de cet homme de guerre aventureux, une espérance encore plus hardie, celle de réunir aux provinces neustriennes le corps entier du royaume des Burgondes. Pour assurer l’exécution de cette difficile entreprise, il pratiqua des intrigues auprès des principaux seigneurs d’Austrasie, en gagna plusieurs par de l’argent, et reçut d’eux une ambassade chargée de conclure avec lui, au nom du jeune roi Hildebert, une alliance offensive contre Gonthramn[4]. Le pacte en fut dressé et confirmé par des sermens réciproques, dans les premiers

  1. Accersitoque socero ejus hæc ei innotui, obsecrans ut se cautum redderet, donec reginæ animus leniretur. (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 282.)
  2. Sed ille consilium meum quod pro Dei intuitu simpliciter insinuavi, dolosè suspiciens cùmr adhuc nobis esset inimicus, noluit agere quæ mandavi… Spreto ergo hoc consilio, ad regem dirigit, qui tunc cum exercitu in pago Miglidunensi degebat. (Ibid.)
  3. Voir la iiie de ces Lettres.
  4. Chilpericus rex legatos nepotis sui Childeberti suscepit inter quos primus erat Egidius Remensis episcopus. (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 281.)