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co-religionnaires, qui, agités en sens divers par le remords et par la crainte, s’assemblaient secrètement pour célébrer le jour du sabbat, et, le lendemain, assistaient comme chrétiens aux offices de l’église[1].

Parmi ceux des nouveaux convertis que le roi Hilperik avait honorés de la faveur de sa paternité spirituelle, se trouvait un certain Phatir, originaire du royaume des Burgondes, et récemment établi à Paris. Cet homme, d’un caractère sombre, n’eut pas plutôt abjuré la foi de ses ancêtres, qu’il en conçut un profond regret ; le sentiment de l’opprobre où il se voyait tombé lui devint bientôt insupportable. L’amertume de ses pensées se tourna en jalousie violente contre Priscus, qui, plus heureux que lui, pouvait marcher la tête haute, exempt de la honte et du tourment qui rongent le cœur d’un apostat[2]. Cette haine, nourrie sourdement, s’accrut jusqu’à la frénésie, et Phatir résolut d’assassiner celui dont il enviait le bonheur. Chaque jour de sabbat, Priscus allait accomplir en secret les rites du culte judaïque, dans une maison écartée au sud de la ville, sur l’une des deux voies romaines qui partaient du même point, à peu de distance du petit pont. Phatir forma le projet de l’attendre au passage, et, menant avec lui ses esclaves armés de poignards et d’épées, il se posta en embuscade sur une place qui était le parvis de la basilique de Saint-Julien. Le malheureux Priscus, ne se doutant de rien, suivit sa route ordinaire ; selon l’usage des juifs qui se rendaient au temple, il n’avait sur lui aucune espèce d’armes, et portait noué autour de son corps, en guise de ceinture, le voile dont il devait se couvrir la tête durant la prière et le chant des psaumes[3]. Quelques-uns de ses amis l’accompagnaient, mais ils étaient, comme lui, sans moyens de défense. Dès que Phatir les vit à sa portée, il tomba sur eux, l’épée à la main, suivi de ses esclaves, qui, animés de la fureur de leur maître, frappèrent sans

  1. Nonnulli tamen eorum corpore tantùm, non corde abluti, ad ipsam quam priùs perfidiam habuerant, Deo mentiti regressi sunt, ità ut et sabbatum observare, et diem dominicum honorare viderentur. (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 275-276.)
  2. Intereà oritur intentio inter illum et Phatirem ex Judæo conversum qui jam regis filius erat ex lavacro. (Ibid., pag. 276.)
  3. Cùmque die sabbati Priscus præcinctus orario, nullum in manus ferens ferramentum, Mosaicas leges quasi impleturus secretiora competeret… (Ibid.)