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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

fussent baptisés. Ce décret, adressé, dans le style ordinaire, au comte ou au juge de la ville, se terminait par une formule de l’invention du roi, formule vraiment barbare, qu’il avait coutume d’employer, tantôt comme une sorte d’épouvantail, tantôt avec l’intention sérieuse de s’y conformer à la lettre : « Si quelqu’un méprise notre ordonnance, qu’on le châtie en lui crevant les yeux[1]. »

Frappés de terreur, les juifs obéirent et allèrent à l’église recevoir l’instruction chrétienne. Le roi se fit une gloire puérile d’assister, en grande pompe, aux cérémonies de leur baptême[2], et même de tenir sur les fonts plusieurs de ces convertis par force. Un homme, pourtant, osa lui résister et refuser de faire abjuration ; ce fut ce même Priscus, dont la défense logique avait été si opiniâtre. Hilperik se montra patient ; il tenta de nouveau sur l’esprit du raisonneur qui lui avait tenu tête les moyens de persuasion[3] ; mais, après une conférence inutile, irrité de voir, pour la seconde fois, son éloquence en défaut, il s’écria : « S’il ne veut pas croire de bon gré, je le ferai bien croire malgré lui[4]. » Le juif Priscus, jeté alors en prison, ne perdit pas courage. Profitant avec adresse de l’intime connaissance qu’il avait du caractère du roi, il le prit par son faible, et lui fit offrir de riches présens, à condition d’obtenir en échange un peu de répit. Son fils, disait-il, devait prochainement épouser une juive de Marseille, il ne lui fallait que le temps de conclure ce mariage, après quoi il se soumettrait comme les autres, et changerait de religion[5]. Que le prétexte fût vrai et la promesse sincère, Hilperik s’en inquiéta peu, et l’appât de l’or calmant tout à coup sa manie de prosélytisme, il fit mettre son marchand juif en liberté. Ainsi Priscus demeura seul pur d’apostasie et calme de conscience parmi ses

  1. Rex verò Chilpericus multos Judæorum eo anno baptizari præcepit (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 275.) — et in præceptionibus, quas ad judices pro suis utilitatibus dirigebat, hæc addebat : Si quis præcepta nostra contemserit, oculorum avulsione mulctetur. (Ibid., pag. 291.)
  2. Ex quibus plures excipit è sancto lavacro. (Ibid., pag. 275.)
  3. Priscus verò ad cognoscendam veritatem nulla penitùs potuit ratione deflecti. (Ibid. pag. 276.)
  4. Tunc iratus rex jussit eum custodiæ mancipari, scilicet ut quem credere voluntariè non poterat, saltem credere faceret vel invitum. (Ibid.)
  5. Sed ille datis quibusdam muneribus spatium postulat, donec filius ejus Massiliensem Hebræam accipiat : pollicetur dolosè se deinceps quæ rex jusserat impleturum. (Ibid.)