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LETTRE AU DIRECTEUR.

voulut bien m’ouvrir les colonnes du Journal des Débats, je ne puis trouver bon qu’on me donne précisément de celles que je n’avais pas. D’après la phrase de M. Sainte-Beuve, « que je n’avais pas été nourri à haïr la restauration, » on pourrait croire que je n’étais pas bien loin de l’aimer. Or, rien n’est plus inexact que cela. Je respecte trop les lecteurs pour les occuper de mes opinions d’enfance ; pourtant, comment résister à dire que la vivacité, non de mes opinions, mais de mes impressions (c’est le seul nom que méritent les sympathies et les antipathies politiques d’un enfant), m’avait fait donner, à Sainte-Barbe-Nicole, un sobriquet patriotique, transcrit en encre rouge sur le livre noir de l’université d’alors ; que fils d’un homme resté fidèle à l’empereur, quand ce grand homme était devenu le seul défenseur de la France envahie, j’avais hérité de sa haine contre un gouvernement pour qui la journée de Waterloo n’avait pas été une défaite ; qu’à cette Sainte-Barbe-Nicole je lisais malheureusement plus le Constitutionnel que Cicéron ; qu’en 1823, à l’époque des troubles de l’École de Droit, j’allai offrir, un jour de sortie, mes services et mon redoutable bras de quinze ans à l’un des meneurs, et que refusé, à cause de mon air par trop inoffensif, je m’allai mettre sans armes au milieu de ceux qui se faisaient fouler sous les pieds des chevaux des gendarmes ; qu’en juillet 1830, avec ces mêmes impressions d’enfant, devenues des opinions passionnées, du reste sans trop d’ardeur belliqueuse, mais par un simple sentiment du devoir, je pris le fusil, moi cinquième, avec trois frères et un oncle qui y a péri, pour la cause des libertés de 89, qu’il m’avait été donné quelquefois de défendre, comme écrivain politique, très secondaire en effet, dans le Journal des Débats ! Tout cela ne compte guère, je le sais, dans la masse des services, des dévouemens, des actions héroïques, des morts glorieuses, dont a été payée la conquête de ces libertés, encore aujourd’hui si incertaine ; mais rien ne s’accorde moins avec une éducation « où je n’aurais pas été nourri à haïr la restauration ; » et si j’en puis tirer du mérite, c’est seulement comme d’un ensemble de circonstances qui détruisent l’assertion de mon spirituel contradicteur.

Si, à l’époque où M. Bertin l’aîné m’accueillit dans son journal, sans autre titre que la recommandation d’un de ses amis, je n’étais guère en droit de faire des conditions à un homme qui voulait bien m’assurer une existence avant de savoir s’il pourrait tirer de moi quelques services, je dois dire pourtant que la politique du Journal des Débats, alors le plus agressif et le plus redoutable des journaux de l’opposition, ne fut pas le moindre des motifs qui me firent désirer d’y entrer. Toutefois, comme j’étais sans expérience de la polémique politique, et que d’ailleurs la plume de M. de Sacy et celle de M. Saint-Marc Girardin, l’une si sûre, l’autre si spirituelle, rendaient la mienne inutile, je me trouvai réduit,