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C’est l’Italie après Annibal ; c’est l’Amérique sous Washington ; c’est la France sous le consulat. La deuxième espèce d’invasion est celle où le vainqueur s’assied sur le terrain conquis et y établit sa demeure future. C’est l’Espagne sous les Maures ; c’est l’Angleterre sous les Normands. Dans ce cas, un nouvel état se forme des ruines de l’ancien. Une société plus jeune s’établit au sein de la race conquise. Tout peut encore être profit pour l’avenir de la contrée subjuguée. La troisième sorte d’invasion est celle où le conquérant se retire du milieu de sa conquête après l’avoir liée à un gouvernement de son choix. Alors, voici ce qui arrive : la nation est pendant quelque temps abolie. Il reste des débris d’un peuple, mais plus de peuple. La tradition du droit est brisée, la conscience publique s’évanouit ; il n’y a plus de despotisme, il n’y a plus de liberté. L’état est mort.

Chez les anciens, cette même idée avait une expression beaucoup plus claire ; un peuple envahi, conquis, était un peuple qui n’avait plus de droit politique ; et comme tous les droits naissaient pour eux du droit politique, non-seulement il n’y avait plus là de peuple, mais plus d’hommes dans ce peuple. Les hommes devenaient des choses, des meubles ; et c’était une conséquence nécessaire que d’en faire des esclaves ; déduction si juste qu’elle ne fut jamais mise en doute par la conscience, ni des vainqueurs, ni des vaincus. La civilisation moderne a tempéré ces principes ; elle ne les a point abolis, car ils sont dans la nature des choses.

Cela posé, on admire aujourd’hui que des partis aient cru sérieusement qu’un aussi grand mal que la soumission à la conquête pût jamais se convertir en bien. Là où il n’y a plus d’état, pour qui est le bénéfice de l’avenir ? Sur cette base de la France démantelée, il n’y eut pas d’abord plus de place pour la royauté qu’il n’y en avait pour le peuple. On y plaça à tous hasards ce que l’on appela justement une fiction constitutionnelle !

L’invasion fut la ruine de tous les pouvoirs, de la royauté, de l’aristocratie, de la démocratie.

Et d’abord de la royauté. Injuste ou non, le souvenir de l’étranger ne fut-il pas l’obstacle incessant à toute réconciliation, le mot d’ordre de toutes les haines, la pensée qui mina sans relâche le sol sous les pas de la vieille monarchie ? Elle ne pouvait se racheter ni par la tyrannie, ni par la liberté ; le bien et le