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Quand il passe de la maison de commerce à la cour, il se fait encore plus timide et plus cauteleux. Le vieux ministre a vécu au milieu des grands, dans la demeure des princes, il sait avec quelle réserve il faut approcher ceux qui tiennent en main le pouvoir. Il parle de ce terrain glissant des châteaux comme eût pu le faire un courtisan de Louis XIV, mais pas un courtisan n’aurait représenté l’autorité royale sous un aspect aussi imposant. Que de précautions il faut prendre pour pénétrer dans la demeure du roi, et comme il faut être adroit, patient et maître de soi-même dès qu’on aspire à vivre auprès de lui ! Le roi n’est pas toujours de bonne humeur, il faut consulter son regard et l’expression de son visage avant que de lui adresser une demande. S’il est assis à table, on aura soin de se tenir humblement à quelque distance de lui ; s’il parle, on se gardera bien de détourner la tête, de se montrer distrait, ou inattentif ; s’il fait un geste, il faut pouvoir, le premier, interpréter ce geste et agir ; s’il donne un ordre et qu’on ne le comprenne pas, on ne sera pas si hardi que de l’obliger à répéter ce qu’il vient de dire une seconde fois, on répondra qu’il a été entendu et qu’il va être obéi ; s’il appelle un courtisan, le courtisan se jettera à genoux devant lui, et ne se relèvera que quand le roi le lui aura commandé.

Après cela viennent d’autres conseils sur la manière de se vêtir, sur les armes qu’on doit porter, et sur l’équitation. Car ce précepteur du prince est un homme universel, et il apprenait à son élève tout ce qu’on savait vraisemblablement en Norwége au xiie siècle. Quand il lui a ainsi enseigné le respect qu’on doit aux rois, il lui enseigne, par des exemples tirés de la Bible, par l’histoire de David, de Joseph, de Mardochée, la conduite que les rois doivent avoir. Puis, en lui parlant des pays qu’il peut parcourir, il lui dit ce qu’il sait sur chaque pays, et alors nous retombons dans toutes les traditions étranges du Rymbegla et des autres géographies du moyen-âge. Il sait qu’il y a des phoques au Groenland, mais c’est pour lui un animal merveilleux, qui a la tête, les yeux, les épaules comme un homme, et personne n’a vu le reste de son corps[1]. Il dépeint assez exactement l’aurore boréale, mais il est dans un grand embarras pour expliquer d’où elle provient. Cependant, dit-il, comme le Groenland se trouve à l’extrémité du globe, il est probable que cette lumière vient du cercle de feu qui entoure la terre, ou des étincelles qui jaillissent des rayons du soleil quand il se couche, ou peut-être du reflet des glaces qui couvrent toute cette partie du monde.

L’Irlande est surtout pour lui un vrai pays de prodiges. Il y a là un lac qui change la moitié d’une branche d’arbre en fer, l’autre en pierre.

  1. Cette description du phoque a été reproduite dans un ouvrage français : Relation du Groenland. Paris, 1647. L’autour cite le Miroir du Roi comme une autorité.