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C’est là le beau temps, c’est là l’âge d’or de la littérature islandaise. C’est du xie au xiiie siècle que cette littérature a produit les œuvres qui, aujourd’hui, nous étonnent et nous charment le plus. L’Islande alors est jeune, et forte, pleine de sève et d’audace, et fière de son indépendance. Elle se retrempe dans les souvenirs héroïques de ses pères, elle s’instruit par les voyages. La religion scandinave lui garde encore ses fictions poétiques, et le christianisme l’éclaire de son flambeau.

Les colons de Norwége, en abordant sur les côtes d’Islande, n’ont trouvé, il est vrai, qu’une contrée aride et rebelle à toute culture, mais ils n’ont pas encore vu le sol bouleversé comme il le fut depuis par les tremblemens de terre et les éruptions de volcan. Ils n’ont pas été décimés par la famine et l’épidémie. Ils occupent, au bord de la mer, de larges espaces de verdure, et des savans assurent que, sur ce sol aride où nous ne voyons plus que des masses de lave, il y avait autrefois des forêts. Ainsi, ils vivent avec confiance, acceptant avec courage les rigueurs de leur climat, et demandant aux flots qui les entourent ce que la terre leur refuse. Tandis que les uns s’en vont jeter leurs filets le long des baies, ou explorer les rives étrangères, les autres continuent paisiblement leurs études, et la littérature se forme et s’élargit. Déjà la jurisprudence, l’histoire naturelle, les mathématiques, trouvent des organes. La poésie inspire les scaldes, et Sœmund chante la sagesse d’Odin et la cosmogonie. Les plus belles sagas se répandent dans l’intérieur des familles. Snorri-Sturleson[1] écrit sa Chronologie des rois de Norwége, et Arae fixe, par des faits positifs et des dates certaines, l’histoire primitive de son pays. C’était un pauvre prêtre à qui ses connaissances firent donner le surnom de frodr (savant). Il avait écrit plusieurs grands ouvrages qui ont été perdus. Il ne nous reste de lui que ses esquisses historiques, ses Schedœ, et le livre des origines islandaises, le Landnama bok.

Il s’est fait aussi à cette époque deux ouvrages qui ne peuvent être classés ni dans l’histoire, ni dans la poésie, et qui méritent d’être notés à part. Le premier est le calendrier ecclésiastique, connu sous le nom de Rymbegla, le second est le Kongs-skugg-Sio (Miroir du Roi).

Le Rymbegla fut écrit entre le xiie et le xiiie siècle. C’est un livre composé de paragraphes détachés sur les fêtes, sur la division du temps, sur le cours du soleil, sur l’âge du monde, tout cela jeté pêle-mêle comme des notes d’érudit, comme les fragmens de lecture qu’amassait Jean Paul. À côté d’un chapitre sur les évêques de l’Islande, voici venir l’histoire des empereurs romains, et puis celle des rois d’Israël, et celle d’Hector et de Sémiramis. L’auteur a fait un étonnant mélange de

  1. Nous parlerons plus en détail de Snorri, cet écrivain classique de l’Islande, dans un prochain article sur les deux Eddas.