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d’accord avec l’horloge extérieure du monde, qui, bien qu’elle aille vite, a pourtant ses frottemens et ses retards. De là nombre de mécomptes, et beaucoup de rendez-vous solennels assignés en vain à la société et au genre humain dans chaque conclusion : la société, qui n’avait pas la même heure à son cadran, a fait défaut et n’est pas venue.

Le récit que M. de La Mennais donne de son voyage à Rome, se rapporte à l’année 1832 ; mais la rédaction en est bien postérieure et toute récente. Dès les premières pages, le désaccord du but d’alors avec le ton d’aujourd’hui nous a frappé. La vive et séduisante relation que fait l’auteur à partir de la descente du Rhône, sent plutôt le poète amoureux de la nature et des monumens, je dirai presque le touriste de génie qui, après tant d’autres illustres voyageurs, sait rajeunir l’immortelle peinture, et non point le pélerin véritablement inquiet, le persécuté soucieux, qui va consulter l’oracle des fidèles. Sur son passage à Avignon, par exemple, croirait-on qu’un pélerin croyant eût dit : « Ce passé triste, mais non sans grandeur, remplit d’une émotion profonde l’ame de celui qui traverse ces silencieux débris, pour aller au loin chercher d’autres débris, encore palpitans, de la même puissance ? » Il y a là anachronisme, si l’on peut dire, entre le moment du voyage et le ton récent de la rédaction. J’ose croire que, si l’un des deux compagnons de voyage de l’illustre auteur abordait le même récit, il le ferait dans une impression toute différente. Au reste, ces pages de M. de La Mennais sont merveilleuses de jeunesse d’imagination, de transparence de couleur, et, par momens, de philosophique tristesse : « D’Antibes à Gênes, la route côtoie presque toujours la mer, au sein de laquelle ses bords charmans découpent leurs formes sinueuses et variées, comme nos vies d’un instant dessinent leurs fragiles contours dans la durée immense, éternelle. » Et plus loin, en Toscane, il nous montre çà et là, « à demi caché sous des ronces et des herbes sèches, le squelette de quelque village, semblable à un mort que ses compagnons, dans leur fuite, n’auraient pu achever d’ensevelir. » Mais, à peine avons-nous le pied dans les états romains, quelques prisonniers conduits par les sbires du pape, comme il dit, font contraste avec cette simplicité naïve de foi que l’auteur s’attribue encore par oubli, ou qui du moins ne devait pas tarder à s’évanouir. Cette contradiction, dans