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saint-siège, de juger ainsi : « Il a été bon que M. de La Mennais et ses amis, durant deux années, jetassent ces germes dans le monde : il peut être bon que pour le moment ces germes en restent là, et puisque Rome le décide, agissant en ce point aveuglément si l’on veut, et par des ressorts intermédiaires humains, mais d’après une direction divine cachée, il faut bien qu’il y ait utilité dans ce retard. Malgré la première apparence qui semble contraire, plusieurs raisons en effet, même humaines, peuvent faire entrevoir cette utilité. Il importe que ces germes, en se hâtant trop, ne se mêlent pas avec d’autres moins purs et qui font partout ivraie ; et d’ailleurs le bon blé ne reste-t-il pas assoupi tout un hiver dans son sillon ? » Je ne propose pas ce raisonnement comme modèle aux philosophes et politiques, aux gens du monde, aux littérateurs et artistes ; mais je le trouvais tout naturel et facile dans l’esprit d’un catholique croyant comme l’était l’abbé de La Mennais. En attendant, il y avait émotion, et pour moi complicité irrésistible, je l’avoue, à suivre jusque dans ses infractions partielles ce Savonarole de nos jours, ainsi que l’a appelé M. d’Eckstein, à écouter ses menaces pleines de prières et ses invectives mêlées d’un zèle tendre. Les Paroles d’un Croyant, non plus que le chapitre des Maux de l’Église, inséré à la fin du présent volume et assez anciennement composé, ne me semblent point dans leur violence sortir de ce rôle de foi, de cette inspiration d’un prêtre, non pas absolument sage, mais généreux et presque héroïque, et toujours le crucifix en main. M. Du Fossé, voulant peindre dans le grand Arnauld cette colère de lion pour la vérité qui s’unissait en son cœur avec la douceur de l’agneau, nous dit naïvement : « L’exemple seul de Moïse, que Dieu appelle le plus doux de tous les hommes, quoiqu’il eût tué un Égyptien pour défendre un de ses frères, brisé par une juste colère les Tables de la Loi, et fait passer au fil de l’épée vingt-trois mille hommes pour punir l’idolâtrie de son peuple, fait bien voir qu’on peut allier ensemble la douceur d’une charité sincère envers le prochain avec un zèle plein d’ardeur pour les intérêts de Dieu. » En ne prenant les vingt-trois mille hommes et l’Égyptien tués qu’en manière de figure, comme il convient dans ce qui est de l’ancienne loi, et en rapportant à l’abbé de La Mennais cette phrase de Du Fossé sur le grand Arnauld, je me rappelais bien que lui-même avait condamné ce