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pourquoi toutes ces formes rebattues et monotones qui détruisent l’effet des plus belles phrases ? Ne viendra-t-il pas un temps où le public s’en lassera, et reconnaîtra que l’action morale (qui est, quoi qu’on en dise, inséparable du mouvement lyrique) est interrompue à chaque instant par cette ritournelle inévitable ; que toute grace, toute naïveté, toute fraîcheur est souillée ou effacée par cette baguette rigide, par cette formule inintelligente et triviale, dont on n’ose pas la dégager ? Liszt compare cette formule, au « j’ai l’honneur d’être votre très humble et très obéissant serviteur, » qu’on place au bas de toutes les lettres de cérémonie dans l’acception la plus fausse et la plus absurde, comme dans la plus juste et la mieux sentie. Il paraît que le vulgaire chérit encore ce vieil usage, et ne croit pas qu’il y ait scène terminée là où il n’y a pas quatre ou huit mesures banales de psalmodie grossière, qui ne sont ni mélodie, ni harmonie, ni chant, ni récitatif. Dans cette situation ridicule, l’intérêt demeure suspendu ; les acteurs, forcés à une attitude de plus en plus théâtrale, s’égosillent et deviennent forcenés en répétant les paroles de leur froid transport, que ne soutient plus la mélodie. L’effet souverain de la passion ou de l’émotion, commandé par tout ce qui précède, se perd et s’anéantit sous cette formule, comme si, au milieu d’une scène tragique, les personnages, tout animés par leur situation, se mettaient à saluer profondément le public à plusieurs reprises.

Vous ne vous êtes pas encore tout-à-fait affranchi à cet égard de l’ignorance d’un public grossier, et des exigences des chanteurs inintelligens. Vous ne le pouviez pas, je pense. Peut-être même n’avez-vous fait accepter vos plus belles idées qu’à la faveur du remplissage obligé des formules. Mais à présent, ne pouvez-vous pas former votre auditoire, lui imposer vos volontés, le contraindre à se passer de lisières, et lui révéler une pureté de goût qu’il ignore, et que nul n’a encore pu proclamer franchement ? Ces immenses succès, ces bruyantes victoires remportées sur lui, vous donnent des droits, elles vous imposent peut-être aussi des devoirs ; car, au-dessus de la faveur populaire et de la gloire humaine, il y a le culte de l’art et la foi de l’artiste. Vous êtes l’homme du présent ; maître, soyez aussi l’homme de l’avenir… Et si mon idée est folle, ma demande inconvenante, prenez que je n’ai rien dit.

Maintenant que je suis en train de rêver, je rêve pour vous un