Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/453

Cette page a été validée par deux contributeurs.
449
LETTRES D’UN VOYAGEUR.

ces traits si nets et si purs, cette conception simple comme l’antique, vraie comme l’histoire, lucide comme la conscience, forte comme la foi ? Vous qui naguère étiez à genoux dans les profondeurs voluptueuses de Saint-Marc, bâtissant sur des proportions plus vastes votre église sicilienne, vous impreignant de l’encens catholique à l’heure sombre où les flambeaux s’allument et font étinceler les parois d’or et de marbre, vous laissant saisir et ployer par les émotions tendres et terribles du saint lieu, comment donc, en entrant dans le temple de Luther, avez-vous su évoquer ses austères poésies et ressusciter ses morts héroïques ? — Nous pensions que votre ame était inquiète et timide à la façon de Dante, lorsque, entraîné dans les enfers et dans les cieux par son génie, il s’épouvante ou s’attendrit à chaque pas. Vous aviez surpris les secrets des chœurs invisibles, lorsqu’à l’élévation de l’hostie les anges de mosaïque du Titien agitent leurs grandes ailes noires sur les fonds d’or de la voûte bizantine, et planent sur le peuple prosterné ! Vous aviez percé le silence impénétrable des tombeaux, et, sous les pavés frémissans des cathédrales, vous aviez entendu la plainte amère des damnés et les menaces des anges de ténèbres. Toutes ces noires et bizarres allégories, vous les aviez saisies dans leur sens profond et dans leur sublime tristesse. Entre l’ange et le démon, entre le ciel et l’enfer fantastiques du moyen-âge, vous aviez vu l’homme divisé contre lui-même, partagé entre la chair et l’esprit, entraîné vers les ténèbres de l’abrutissement, mais protégé par l’intelligence vivifiante et sauvé par l’espoir divin. Vous aviez peint ces luttes, ces effrois et ces souffrances, ces promesses et ces enthousiasmes en traits sérieux et touchans, tout en les laissant enveloppés de leurs poétiques symboles. Vous aviez su nous émouvoir et nous troubler avec des personnages chimériques et des situations impossibles. C’est que le cœur de l’homme bat dans l’artiste, et porte brûlantes toutes les empreintes de la vie réelle ; c’est que l’art véritable ne fait rien d’insignifiant, et que la plus saine philosophie et les plus douces sympathies humaines président toujours aux plus brillans caprices du génie.

Mais n’était-il pas permis de croire, après cette grande œuvre catholique de Robert, que toute votre puissance et toute votre inspiration s’étaient allumées dans votre intelligence allemande (c’est-à-dire consciencieuse et savante), sous le ciel de Naples ou