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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

seul. On est comme transporté sous un autre ciel, dans un autre climat. Un homme seul, d’une race étrangère, est arrivé ; et ce que l’on aimait, on commence à le haïr ; ce que l’on haïssait, on se met à l’aimer. Ce n’est plus le même peuple, ce n’est plus la même langue ; le pays même semble avoir changé. Pourtant il n’en est rien, et il est facile de retrouver sous le despotisme la tradition persistante de la révolution française.

Il ne suffisait pas à cette révolution d’avoir échappé à l’étranger en 93 ; cette alerte n’était que le début d’une guerre de trente ans. On vit alors qu’on courait un danger beaucoup plus grand que celui de la perte de la liberté, et que la vie même de l’état était dans un péril permanent en face de l’Europe. Pour résister à ce danger, s’érigea une dictature comme lui permanente, qui s’appela tantôt la convention, tantôt le directoire, tantôt le consulat, tantôt l’empire. Ces gouvernemens furent autant de machines de guerre, construits l’un après l’autre et dans la même idée, pour battre en brèche la vieille Europe, jusqu’à ce qu’elle demandât merci à la révolution. Chercher des élémens de liberté dans ces combinaisons, dont la force était la première nécessité, c’est chercher dans la guerre ce qui appartient à la paix. Le drapeau de combat pendait sur les murailles de la France ; la première affaire pour être libre, c’était de vaincre.

Au fond, les conditions apportées au monde par la révolution française, à son origine, étaient telles que, pour s’établir tout d’abord et vivre au milieu de l’Europe, il lui eût fallu, comme les états d’Amérique, être entourée de déserts ou de populations muettes. La main qui devait faire le désert était celle qui prit la couronne en 1804.

La liberté du citoyen présuppose l’indépendance de l’état, et l’édifice de la Déclaration des droits avait besoin d’être fondé sur une base de granit. En Angleterre, avant que la constitution s’établît, on vit le pouvoir de Cromwell faire taire toutes les lois et réunir les trois royaumes. Avant qu’elle s’établît en France, on vit un autre Cromwell ceindre ou briser toutes les couronnes. Mais celui-ci fut vaincu, et le coup qui brisa le despotisme anéantit en même temps la liberté.

La guerre était tellement dans les conditions de cette époque, qu’elle ressortait des projets les plus contradictoires. La paix l’a-