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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

« Laissez le vin à ceux qui sont accablés par le travail, et la cervoise à ceux qui sont dans l’amertume du cœur ; les princes ne boiront pas le vin et la cervoise, ils les laisseront à ceux qui souffrent et à ceux qui travaillent dans l’amertume du cœur. »

Honneur aux âges primitifs ! amour aux antiques pasteurs ! regret à la jeunesse du monde ! Temps agréables au Seigneur, où l’homme cherchait la science sans qu’il fût possible de savoir le funeste usage qui serait fait de la science ; où la sagesse n’était pas un vain mot et correspondait, dans les codes des patriarches, aux besoins vrais et nobles de l’humanité ! vous paraissez grands et presque impossibles quand on vous compare aux sociétés modernes. Dieu, grand Dieu ! toi qui parlais sur la montagne pour dire aux hommes : Faites ceci, et qui voyais ta loi accomplie ; toi dont la parole descendait dans les tabernacles d’Israël, instruisait et dirigeait tes législateurs prosternés, que sens-tu pour nous désormais dans ton sein paternel, en voyant la terre asservie aux volontés impies et aux besoins insensés d’une poignée d’hommes pervers ; le mot sacré de loi traduit par celui d’intérêt personnel, le labeur, remplacé par la cupidité ; les cérémonies augustes et saintes par des coutumes ineptes ou des mystères incompris ; tes lévites, par des pontifes ennemis du peuple ; la crainte de ton courroux ou de ton déplaisir par des hordes de soldats mercenaires, seul frein que les princes sachent employer, et que les peuples veuillent reconnaître !

Que penser d’un siècle où l’éducation morale est entièrement abandonnée au hasard, où la jeunesse n’apprend ni à régler ses besoins intellectuels ni à gouverner ses appétits physiques ; où on lui présente les livres des diverses religions, qu’on lui explique en souriant et en lui recommandant bien de ne croire à aucune ; où, pour tout précepte, on lui conseille de ne point se mettre mal avec la police aux premières orgies qu’elle se permettra, et de ne point professer trop haut la théorie des vices dont on lui abandonne la pratique ? Que lui apprend-on de l’amour, de cette passion qui s’éveille la première, et qui, dans le cœur de l’adolescent, est susceptible d’un développement si noble ? Rien, sinon qu’il faut faire pour les femmes le moins de sottises possible, jouer au plus fin avec les coquettes, s’abstenir de l’enthousiasme, se consoler avec les prostituées des défaites de la ruse ; en toute occasion, sa-