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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

fut pour le gouvernement de la branche aînée des Bourbons une nécessité que l’histoire doit savoir comprendre ; et quoique on puisse en déplorer les résultats, il faut reconnaître qu’il eut été bien facile de les nationaliser. Si, au lieu de s’effacer en Espagne derrière les passions réactionnaires, on s’était hardiment posé en face d’elles, si l’on avait saisi cette unique occasion de cimenter l’alliance de la dynastie avec les idées constitutionnelles par leur diffusion au dehors, la guerre de 1823, loin d’être exploitée contre la restauration comme un souvenir accusateur, fût devenue sa sauvegarde aux mauvais jours.

À la fin de 1822, l’opinion publique en Europe reconnaissait unanimement que la constitution de Cadix était impraticable, et qu’il fallait passer à la république en supprimant une royauté dérisoire, ou revenir à la monarchie en lui rendant des attributions essentielles. Il ne pouvait, d’ailleurs, échapper à personne qu’en fait d’aptitude gouvernementale les patriotes de 1820 étaient au niveau des absolutistes de 1814. Ces hommes, divisés en sectes nombreuses, depuis les théoriciens communeros jusqu’aux ignobles Zurriagistes[1], qui bégayaient la langue d’Hébert et s’essayaient à la massue de septembre ; ces hommes, dont l’esprit était farci de lieux communs et le cœur vide de tout élément de sociabilité, semblaient destinés à se combattre les uns les autres sans résultat et sans terme. De son côté, le parti de la foi, que Mina venait d’écraser, avait constaté son impuissance à terminer par lui-même et à son profit la crise péninsulaire. D’ailleurs, le nom de ses chefs, sortis presque tous des derniers rangs du peuple et du clergé, constatait la présence dans son sein d’une force démagogique dont les manifestations seraient bientôt redoutables au pouvoir qu’il consentirait à élever.

C’était donc du seul parti modéré qu’on pouvait attendre quelque avenir pour l’Espagne, car lui seul n’avait pas encore donné sa mesure. Divisé en associations et nuances aussi nombreuses que ses adversaires, composé d’une portion notable de la grandesse et de la magistrature, d’officiers supérieurs, de commerçans, de propriétaires, de quelques dignitaires ecclésiastiques, de l’élite des afrancesados, ce parti, chassé du gouvernement après la crise de juillet, ne pouvait plus rien par les voies légales et ne pouvait rien encore par la force. Attendre de circonstances éloignées un retour éventuel d’influence pour ces hommes nombreux, mais isolés, c’était livrer à des chances redoutables cette question espagnole, que tous les gouvernemens de la France doivent tendre à décider dans le sens de leur principe. L’intervention française pouvait seule

  1. Ainsi nommés du journal el Zurriago (le fouet).