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étaient couverts. À la place du petit bois par où commença l’attaque verdit un champ d’avoine ; les arbres du parc ombragent la tombe d’un Irlandais.

La ferme de la Haie-Sainte, sur laquelle pivotait toute la bataille, est une espèce de forteresse rustique. Les portes des cours et des jardins sont encore criblées de balles. Sous l’un des hangards je vis de grands entassemens d’os et de têtes de chevaux. Parmi ces têtes il y en avait encore avec le mors rouillé entre les dents. Dans les champs, en face de la ferme, de longues et profondes tranchées, remplies de restes d’hommes, de chevaux, de harnais, se reconnaissent de loin à une végétation plus forte et d’un vert plus foncé. Des habitans de Bruxelles marchandaient alors ces ossemens ; mais les gens du pays ne voulaient vendre que les restes de chevaux, et l’on était occupé à les séparer d’avec les squelettes d’hommes. De tous côtés les tombes étaient ouvertes. Un fossoyeur me dit une fois en soulevant sa pelle : Voilà des os des grenadiers de la garde ; ils sont grands comme des os de chevaux.

Au bout de la vallée, sur la droite, le petit hameau de Morache ou de la Haie s’abrite sous des arbres touffus ; il se lie aux vergers du château de Frichermont, qui est de ce côté le pendant du château détruit sur la gauche. C’est par là que se fit la trouée des Prussiens. Le voisinage de la forêt permit au maréchal Blucher de s’élancer comme d’une embuscade ; le chemin par lequel il arriva d’Ohain est une étroite clairière dans un bois fourré de pins et de chênes, où les chars ont peine à passer. Les deux armées durent l’apercevoir à la fois et en un clin d’œil, car il débusqua en rase campagne et sur une éminence. De là s’explique comment les fermes de la Haie ne portent point de trace de mitraille. Le village situé dans un bas-fond fut enveloppé et emporté avant que rien eût été préparé pour la moindre défense.

Au centre de la position des Anglais a été élevé un grand tumulus en briques, recouvert de terre. Cette tombe colossale domine de très haut tout l’horizon. Pour la construire, on a écrêté le sommet du plateau dont on a ainsi changé la forme. L’endroit où la route de Bruxelles coupait la ligne anglaise est marqué, des deux côtés, par une colonne funèbre. Ces deux colonnes forment l’entrée mortuaire du champ de Waterloo. Un peu plus loin, dans ce champ néfaste, on trouve une pierre élevée à un in-