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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

maux qui pesaient sur la nation, sa conduite et sa mollesse ayant pu légitimement alarmer bien de patriotiques consciences. Il proposait donc de reconnaître qu’il avait perdu sa force morale.

L’adoption de cette étrange formule n’engagea pas cependant l’assemblée, comme on devait s’y attendre, dans une lutte systématique contre le cabinet. Croyant par là s’être mise en règle avec les clubs, elle s’efforçait de ne pas trop entraver les mesures nécessaires à son propre salut, mesures dont elle laissait à d’autres la dangereuse responsabilité. Las de ces tribulations, que des élections faites sous l’influence du parti militaire devaient bientôt aggraver encore, plusieurs des ministres cédèrent à l’orage ; mais le même système se maintint avec un bonheur inespéré en face d’une désorganisation imminente. L’épée de Morillo continua de protéger l’ordre dans Madrid, où Martinez de San-Martin promenait son antique et impassible courage. Sa main saisissait au milieu d’une bande de vociférateurs un portrait de Riégo, pendant qu’à Saragosse le chef politique Moreda, intimant au héros de Las Cabezas l’ordre du ministère, le contraignait à partir pour le lieu de son exil.

L’Espagne peut les citer avec orgueil ces noms auxquels de longues tourmentes n’ont ajouté qu’un si petit nombre de noms nouveaux : le courage civil semble manquer à la terre du Cid ; si ses enfans meurent encore sur le champ de bataille, ils ne savent plus, comme leurs glorieux pères, se vouer au culte d’une idée, et conserver, au milieu de la confusion des temps, l’apperception des devoirs austères de l’homme politique, des devoirs délicats de l’homme d’honneur. Il y a comme un relâchement universel de tous les principes et de toutes les ames ; la vigoureuse végétation du génie castillan semble étouffée par les idées impuissantes sous lesquelles il est à la gêne.

Le système qui avait réussi en Aragon et à Madrid n’échoua point en Andalousie. Armé des décrets des cortès, le ministère dirigea quelques troupes sur cette province, et les meneurs s’enfuirent ; en face d’un danger qu’ils avaient espéré conjurer par leurs rodomontades, bien plus qu’ils ne s’étaient flattés de lui résister par leur courage. Le général Campoverde entra dans Séville aux unanimes applaudissemens d’un peuple heureux d’une délivrance qu’il lui eût été plus honorable de se procurer lui-même. Les chefs des séditieux reçurent des ordres d’exil auxquels ils obtempérèrent avec empressement.

Le gouvernement rendit aux cortès une part de l’énergie qu’il avait puisée dans cette lutte. Quelques bonnes lois de police furent votées dans les derniers jours d’une législature à laquelle les lumières manquèrent moins que le courage. Mais l’Espagne allait aussi voir succéder sa législative à sa constituante. Des hommes nouveaux, sans aucune solidarité