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par les factions aux pouvoirs avilis. Tel fut le premier essai de ce fédéralisme démagogique auquel on a semblé demander quelques chances de vie pour l’Espagne, et qui, s’il devait triompher encore, serait le manifeste indice d’une décomposition sans espoir. On put voir à cette époque combien les populations restaient étrangères à ces ligues que ne cimentent ni intérêts, ni croyances, ni souvenirs, et qui ne constatent que l’impassibilité des gens de bien entre un gouvernement impuissant et des passions dévastatrices.

Cependant à ces nouvelles les cortès s’émurent. Il fallut bien délibérer, quand le ministère les en somma au nom de cette constitution dont elles se disaient idolâtres, et lorsqu’elles se virent menacées par un torrent qui bientôt les emporterait elles-mêmes. Des commissaires furent nommés, dont on espéra d’abord des conclusions énergiques. Elles ne firent pas faute, en effet, car la commission ne proposa rien moins que la mise en jugement, sous prévention du crime de haute trahison, de tous les signataires des manifestes, membres des juntes, commandans de la force armée, et en première ligne des autorités constituées qui avaient osé méconnaître les ordres du gouvernement et s’étaient placées en rébellion ouverte contre lui[1]. Mais on sut se ménager un moyen de faire agréer aux factieux le défi qu’on semblait leur jeter, et ni la peur, ni la haine ne perdirent rien à cette fermeté de parade. Au lieu de se précipiter soi-même dans le gouffre pour le fermer, on pensa qu’il était plus habile d’y jeter ses adversaires, et que cette immolation pourrait rapprocher les cœurs.

Il est dans toutes les assemblées délibérantes une fraction pour qui les inimitiés personnelles passent avant les obligations politiques, et qui songe moins au salut du pays qu’aux mains chargées de le sauver ; parti inflexible dans les principes et souple dans la conduite, moins occupé de flétrir le crime que de lui chercher des motifs, et qui a besoin d’une excuse pour faire son devoir, comme d’autres pourraient en avoir besoin pour y manquer. Calatrava fut l’organe de ces hommes qui, sur le point de rentrer dans leur cité (la session touchait à son terme et les cortès n’étaient pas rééligibles), désiraient à la fois, et prévenir la guerre civile, et ne pas faire de leur poitrine désarmée le but de tous les poignards. En des termes aussi énergiques qu’auraient pu le désirer les ministres eux-mêmes, il réclama pour le pouvoir exécutif tous les moyens nécessaires pour comprimer les juntes ; puis, dans une seconde partie de son travail, destinée à faire pardonner la première, il conclut à déclarer que le ministère devait s’imputer la responsabilité de tous les

  1. Rapport de Calatrava du 23 décembre.