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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

ter de s’y soustraire sans calculer les conséquences d’une telle démarche. Ainsi, après avoir recouvré le précaire exercice de son autorité constitutionnelle, Louis XVI s’était donné une dernière satisfaction royale en renvoyant le ministère Roland, se séparant de la Gironde au risque de hâter le triomphe des jacobins : brusque résolution qui détermina la crise du 20 juin, ce prologue du 10 août. La résolution de Ferdinand le compromit moins, parce qu’il attendit moins long-temps à la prendre.

Au 1er mars 1821, à l’ouverture de la seconde session des cortès, le monarque, assis sur son trône, jouait la parade obligée. Il débitait le discours dont ses ministres venaient de lui remettre la minute. Cependant le manuscrit était achevé, et le roi parlait encore ; il parlait, et un long murmure d’étonnement circulait dans l’auditoire, et les ministres, pâles de colère, entendaient le prince les accuser de n’avoir pas protégé contre les outrages des factions la royauté et la constitution dont elle était partie intégrante.

Offenser en face des hommes pour lesquels leur injure allait devenir un gage de réconciliation et de popularité, était un acte plus téméraire que courageux. La majorité des cortès se sentit frappée dans ses chefs de 1812, et l’on vit se fractionner un parti qu’il était important de maintenir compacte contre la faction militaire des démagogues de 1820. Les clubs conférèrent une prompte adoption aux ministres qu’ils attaquaient naguère avec violence, et ceux-ci acceptèrent ce rôle d’amnistiés auquel les partis attachent des obligations si honteuses. Le congrès, semblant calquer sa délibération sur celle de l’assemblée législative, après le renvoi du ministère girondin, déclara que le cabinet congédié emportait la confiance de la nation, et se refusa à désigner d’autres hommes à la couronne, ainsi qu’elle le réclamait en gage de ses dispositions.

Du sein de cette crise long-temps prolongée, sortit cependant ce second ministère constitutionnel dont le souvenir est un titre d’honneur pour l’Espagne et pour ses membres[1]. La plupart d’entre eux acceptèrent le pouvoir comme une charge, sans en avoir fait jusqu’alors le but de leur

  1. Il fut d’abord composé de don Eusebio Bardaxi, don Ramon Feliu, don Vicente Cano Manuel, don Antonio Barata, don Francisco de Paula Escudero et du général Moreno y Daoïx. Plus tard, à la suite des évènemens d’Andalousie et de la formation des juntes insurrectionnelles, le roi dut accepter la démission de plusieurs ministres dont les portefeuilles furent tenus provisoirement. Sitôt que la fin de la législature le lui permit, il appela au conseil Martinez de la Rosa, Gareli, Moscoso et Bodeja, dont la majorité avait souvent suivi les directions calmes et honorables. Néanmoins, malgré divers remaniemens de personnes, le système continua sans interruption, et l’on doit faire remonter au 1er mars 1821 l’établissement du ministère de résistance en Espagne. Ce cabinet ne succomba qu’à la fatale crise du 7 juillet, après seize mois d’une existence orageuse.