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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

vide, d’un terrain rouge et sablonneux, semé d’avoine, de trèfle, de seigle, sans murs, sans fossés, sans barrière, s’entoure d’une ceinture de bois de haute et de petite futaie ; véritable champ clos pour un duel à mort. La forêt de Soignes est à deux mille toises en arrière, et les maisons de Mont-Saint-Jean bordent, comme le faubourg d’une grande ville, la route pavée qui traverse cet intervalle ; à cause de l’inégalité du sol on ne peut voir de loin que la pointe des toits et le petit dôme de l’église de Waterloo. Sur la lisière des bois et dans la campagne s’élèvent, dans des directions opposées, les clochers en aiguilles de Planchenoit, d’Ohain, de Braine-la-Leud. Une vallée concave traçait le front de bataille ; il était fort resserré, ayant moins d’une demi-lieue de développement. Le sol s’exhaussait par le centre et s’inclinait jusqu’à ses extrémités, en sorte que les deux ailes ne pouvaient se voir l’une l’autre. Ce point culminant de la ligne répond à la petite ferme de la Belle-Alliance qu’occupa l’empereur toute l’après-midi, et où se rencontrèrent le soir le duc de Wellington et le maréchal Blucher.

Dans de longs siècles, il sera facile encore de reconnaître la ravine qui séparait les deux armées. Elle est sans eau, sans source, sans arbre. Ses deux extrémités seules et son centre se cachent sous des habitations et des vergers ; la gauche est marquée par les ruines du château d’Hougoumont ; le centre, par la grande ferme de la Haie-Sainte ; la droite, par le village de la Haie, plus connu dans le pays sous celui de Morache. À une demi-lieue plus loin, la vallée se perd du côté de Lasnes dans des défilés, des taillis, des marais, et enfin dans un chemin creux et fort étroit. C’est par ce chemin que déboucha à grand’peine la première colonne des Prussiens de Bulow. Le sol en est tellement spongieux, qu’il devient impraticable sitôt qu’il a plu. Aussi, ce corps d’armée y resta embourbé la moitié du jour, et mit cinq heures à faire une lieue. Dans une des bruyères qui dominent ce défilé, on trouve une colonne et un tombeau, quoique l’action ne se soit pas étendue jusque-là.

Sur l’extrême gauche de la position française et sous une allée de frênes blanchit la carcasse du château d’Hougoumont, incendié par les bombes du prince Jérôme et du général Foy. La chapelle seule est restée debout. On montre comme la relique miraculeuse de la bataille un Christ en bois épargné par le feu. Les murs du verger ont été conservés ainsi que les fameuses charmilles dont ils