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la soldatesque et des complots, le jour où le peuple rentrerait dans son indifférence, et où la misère lui créerait des besoins. Aussi Ferdinand était à peine établi dans son palais, que déjà l’insurrection frappait à sa porte. Mina avait tenté de soulever la Navarre ; Porlier vit un moment les garnisons de la Corogne et du Ferrol répondre à sa voix si connue ; Richard aiguisa son poignard au sein de Madrid, et la torture, aussi atroce que l’assassinat, reparut comme pour rejeter quelque pitié sur le coupable. Cependant Lacy organisait l’insurrection en Catalogne, et sa mort, long-temps différée, sembla moins une expiation qu’une froide vengeance. De son sang sortit Vidal, dont les angoisses furent moins longues que celles infligées plus tard par d’autres passions au malheureux qui fut son juge[1].

Une grande partie de l’armée appartenait à la conspiration, et le pouvoir ne voyait rien. Elle était dominée par les sociétés secrètes, auxquelles la perspective de passer en Amérique et d’y mourir fournissait un stimulant plus énergique encore que les opinions libérales. Le temps n’était plus où le génie castillan s’élançait avec confiance vers ces lointains rivages, et les répugnances de l’armée espagnole révélaient l’issue fatale avec plus de certitude encore que les victoires de Bolivar.

Plusieurs mois avant qu’éclatât le complot de l’île de Léon, la conspiration était flagrante au sein des troupes rassemblées au camp de la Victoire. La plupart des chefs y trempaient, et le comte de l’Abisbal, jouant dès-lors le rôle qu’il poursuivit depuis avec plus de bonheur que de loyauté, n’en dévoilait à la cour que juste ce qu’il fallait pour se mettre en règle avec elle.

Les révolutions politiques s’apprécient d’ordinaire par le trait saillant qui les domine ; c’est ainsi que celle de 1820 est toujours envisagée en Europe comme une insurrection exclusivement militaire, impression qui passera probablement dans l’histoire, et qui pourtant n’est pas exacte. Cette révolution s’opéra selon la formule que Tacite a donnée, il y a dix-huit siècles, pour toutes celles qui réussissent. Ce qu’un petit nombre osa tenter fut approuvé par beaucoup et souffert par tous. Avant le complot de Las Cabezas, le gouvernement royal était menacé, ici par de mystérieuses intrigues dont une partie de l’administration était complice, ailleurs par des tentatives à main armée. Depuis près d’une année, des bandes nombreuses parcouraient l’Estramadure et la Manche, proclamant la constitution et en rétablissant les insignes ; et s’il n’avait été pris et pendu un mois trop tôt, Melchior, resté un bandit de grande route, fût devenu peut-être un héros d’histoire[2].

  1. Le général Elio, étranglé à Valence en 1822, après une captivité de deux années.
  2. Melchior fut exécuté à Madrid le 5 février 1820.