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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

fermeté. En niant le mouvement, il se persuada que l’Espagne n’avait pas marché, quoique, pendant six ans, elle eût été soumise à l’action de la tribune et de la presse, et qu’une innombrable quantité d’hommes nouveaux se fussent élevés des rangs les plus infimes aux premières dignités de l’armée. On se prit donc à faire une aussi savante étude des abus pour les rétablir, qu’on aurait pu le faire pour les éviter.

Le bon sens et l’équité indiquaient la convenance d’une amnistie générale au sortir d’une époque pleine de troubles et d’incertitudes, durant laquelle il avait été plus difficile de connaître son devoir que de le faire. Mais la restauration, sanctionnant des proscriptions autorisées par la guerre et qui devenaient un crime après la paix, décréta l’exil en masse des dix mille Espagnols qui avaient jusqu’au dernier jour suivi la fortune de Joseph et de la France. Le séquestre fut apposé sur tous leurs biens, et ce ne fut qu’après plusieurs mortelles années de souffrances, que quelques parcelles en purent arriver sur le sol étranger où ils devaient mourir[1].

Mais afin de rendre les fortunes égales, et comme pour confondre toutes les notions de l’équité naturelle, ceux d’entre les Espagnols qui avaient opposé à l’invasion étrangère la résistance la plus énergique, subissaient en même temps des sévices plus rigoureux encore. Au moment où Ferdinand mettait le pied dans la capitale, il traduisait devant des commissions spéciales tous les membres des cortès ordinaires et extraordinaires, les ministres, les membres de la régence, et généralement tous les individus ayant coopéré à la rédaction de la constitution de 1812, ou qui s’en étaient montré les partisans[2] : immenses tables de proscription où la cupidité inscrivit autant de noms que la vengeance.

Pendant plus de deux années, de longues listes apparurent pour remplir les cachots vidés par les condamnations aux présides, l’exil ou le confinement dans les monastères. Les hommes les plus considérables de l’Espagne par leurs lumières et leur importance politique payèrent de six années de bagne le crime d’avoir voulu sauver la patrie, sans un roi que sa fortune et son indifférence semblaient en avoir séparé pour jamais[3]. Alors se produisit cette émulation entre toutes les folies et

  1. Décret du 16 mai 1816.
  2. Décret du 30 mai 1814
  3. Le fragment qui nous a été laissé par M. de Martignac, de l’Essai sur la révolution d’Espagne et l’intervention de 1823, présente un tableau fidèle de cette époque. Malgré l’extrême réserve que son système politique et sa position personnelle imposent à l’auteur, l’ame de l’honnête homme déborde en cris éloquens au récit de ces proscriptions sauvages ; et la situation de l’Espagne sous un régime où « l’imprudence le disputait à la cruauté, » a été rarement appréciée avec un tact politique plus sûr et une plus haute moralité. De