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sa couronne. Est-il un gouvernement qui ne puisse tout au moment de son établissement ? Avant la promulgation de la charte et la déclaration de Saint-Ouen, le comte d’Artois n’était-il pas accueilli avec transport dans les rues de la capitale ? C’est qu’il représentait pour le peuple le plus impérieux de tous les besoins, la paix. Mais il y eut cette différence entre la restauration de Louis XVIII et celle de Ferdinand VII, que la première fut faite en pensant au lendemain, et l’autre, sous le coup seulement des aveugles passions du jour ; il y avait de plus, entre la France et l’Espagne de 1814, cette autre différence essentielle, qu’ici le peuple était sur le premier plan, tandis que là il n’occupait que le second.

Ferdinand venait de traverser plusieurs provinces, et partout il avait entendu retentir des acclamations qui ne s’adressaient qu’à sa personne. L’œuvre de 1812 semblait oubliée, et l’était en effet au milieu de ce débordement d’enthousiasme. Nombre d’ayuntamientos constitutionnels l’invitaient avec chaleur à repousser les nouveautés ; une minorité considérable des cortès, les soixante-neuf députés connus sous le nom de Perses, lui avaient transmis une adresse dans le même sens. Ce fut en alléguant ces témoignages, qu’on ne manquait pas de lui présenter comme unanimes, qu’il rendit, le 4 mai 1814, la fameuse déclaration de Valence.

S’appuyant sur l’irrégularité des élections, l’absence des deux premiers ordres au sein des cortès constituantes, l’omnipotence qu’elles s’étaient attribuée, enfin les changemens radicaux introduits brusquement dans les institutions fondamentales de la monarchie, Ferdinand annulait toutes les décisions, lois ou décrets rendus par les deux législatures, ordonnait la clôture immédiate des séances, déclarant coupable de lèse-majesté quiconque engagerait ou exciterait à l’observation de la constitution de Cadix.

Mais en même temps, et s’inclinant devant des nécessités qu’il reconnaissait alors, et dont il devait se jouer si tôt, le roi professait en termes chaleureux une profonde horreur du despotisme, et prenait à la face du monde l’engagement solennel de traiter bientôt avec les députés de l’Espagne et des Indes dans des cortès légitimement assemblées, pour régler avec leur concours tout ce qui conviendrait au bien du royaume, selon l’état des lumières et de la civilisation de l’Europe. La liberté individuelle, la liberté de la presse, « renfermée dans les bornes que la saine raison prescrit à tous, » le vote de l’impôt et d’une liste civile, garanties générales de réforme et de liberté au delà desquelles, on peut l’affirmer, l’opinion publique de l’Espagne n’allait pas plus en 1814 qu’en 1810 : telles étaient les promesses qui descendirent du trône et qui devaient être si promptement oubliées.