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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

tant et de si honteux indices, repoussés par l’incrédulité populaire, accueillis avec désespoir par les esprits sérieux, purent n’être pas sans influence sur la rédaction d’un pacte qui, au lieu d’être un contrat de fidélité réciproque entre la nation et le trône, devenait un monument de haine contre un triste passé, de précaution contre un menaçant avenir.

Mais dans ces combinaisons préparées pour une royauté absente, on avait omis de tenir compte de l’imprévu, qui partage, avec la prudence, le soin de décider des affaires humaines. Les premières cortès ordinaires étaient à peine installées à Madrid après l’évacuation française, que l’agonie de l’empire amena le traité de Valençay et la libération de Ferdinand VII. Ce prince franchit les frontières de son royaume au moment où la branche aînée de sa maison était rappelée au trône de ses pères.

Ici se déroule une péripétie soudaine, facile à comprendre, si l’on tient compte et de l’irrésistible mobilité des passions populaires, et des fautes de conduite commises par l’assemblée dont l’imprudence brusqua de front une situation qu’il fallait savoir tourner. Au lieu de s’associer à l’universelle ivresse, et de confesser auprès du roi les difficultés d’une position où l’on n’avait pu manquer de faire des fautes, les cortès se montrèrent froides, hautaines et pointilleuses. On prescrivit son itinéraire au monarque ; on lui interdit, jusqu’à la prestation du serment à la constitution, l’exercice de l’autorité royale que le peuple lui rendait avec transport ; la presse fit arriver à son oreille des paroles dédaigneuses, pendant que sur son passage les chemins se jonchaient de fleurs : contraste dont des hommes politiques eussent dû comprendre les dangers, dans un pays où tout était alors peuple et soldat, et où le dernier guerillero croyait avoir plus contribué à renverser Napoléon que n’avaient pu le faire la débâcle de Russie et le soulèvement de l’Allemagne.

Aux yeux des masses, ces glorieux souvenirs, devant lesquels se taisaient tous les autres, s’incarnaient dans la personne de Ferdinand ; et il devint tout puissant, moins comme roi que comme captif délivré par elles. Rétabli sur le trône par une guerre nationale, après y avoir été élevé par une insurrection populaire, vivante expression de la haine espagnole contre Godoï et Bonaparte, ce prince était pour ses sujets le symbole de toutes leurs passions et de toutes leurs antipathies, et ce n’est pas sans raison qu’il se crut fort de toute l’énergie du peuple qu’il avait derrière lui.

Il échappa seulement à l’intelligence de Ferdinand que les peuples ne règnent qu’un jour, et que, dans la situation nouvelle où la paix allait faire entrer l’Espagne, c’était moins à une ivresse passagère qu’aux intérêts permanens et aux idées d’avenir qu’il fallait confier les destinées de