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DE LA PROPRIÉTÉ EN FRANCE.

s’agit d’adjuger le bail ; et elle a pourtant une mesure suffisante pour que l’on retrouve sur les produits le prix du fermage et le salaire du fermier.

Pendant que le morcellement s’arrêtera dans la petite propriété, il va se faire une nouvelle distribution des grands héritages, qui divisera la propriété foncière sans diviser le sol. Pour mettre la terre en valeur, on emploiera les procédés familiers à l’industrie manufacturière ; on s’associera pour exploiter un domaine, comme l’on s’associe pour exploiter une mine, une forge, une entreprise de bateaux à vapeur. Déjà le petit nombre de fermes expérimentales qui existent en France, ont été établies par des sociétés en commandite[1], où la propriété se trouve représentée par un certain nombre d’actions. Mais, si nous avons bien apprécié les symptômes du mouvement qui se prépare, le principe d’association ne tardera pas à être appliqué, d’une manière plus générale et sur une plus large échelle, à l’exploitation du sol.

C’est le parti légitimiste, composé, comme chacun sait, de grands propriétaires, qui donne l’exemple. Les hommes du passé, ceux qui prétendent immobiliser l’état social, sont les premiers à mobiliser le sol. Nous avons sous les yeux le prospectus d’une société en commandite, formée pour mettre en valeur la terre de Beauni-Saint-Hippolyte, située à 24 heures de Paris. C’est un immense domaine qui comprend 3,550 arpens (environ 3,000 acres), distribués entre trente et une fermes, et dans le nombre 1200 arpens de bois. On a divisé la propriété en 4,000 actions de 4,000 fr. chacune, ce qui donne un capital de deux millions de francs. Le prospectus évalue le revenu annuel à 150,000 fr., ce qui suppose

  1. Les sociétés en commandite sont des entreprises commerciales qui comprennent deux classes d’associés. Les associés en nom sont responsables des dettes de la société dans leur fortune personnelle et dans leur crédit ; ils gèrent les affaires et ont la signature sociale. Les associés commanditaires ne sont responsables que jusqu’à concurrence des fonds qu’ils ont placés dans l’entreprise ; dans aucun cas, on ne peut leur demander davantage, et ils ne font aucun acte de gestion. Dans les sociétés en commandite, le fonds social peut être divisé par actions transmissibles, ou bien demeurer indivis jusqu’à l’expiration de la société.

    Les sociétés en commandite sont inconnues en Angleterre. En effet, dans les associations qui portent le nom de Joint stock companies, tous les sociétaires sont responsables dans toute l’étendue de leur fortune ; et dans les associations qui ont été incorporées par une charte émanée du roi ou du parlement, aucun sociétaire, sans excepter les directeurs ni les gérans, n’est responsable au-delà de la valeur représentée par les actions dont il est porteur.