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mieux assise. L’acquéreur, s’il a affaire à un vendeur de mauvaise foi, peut se voir encore dépossédé ; il faut une possession non interrompue pendant trente ans pour lui donner une entière sécurité.

Le morcellement paraît s’arrêter dans la commune d’Argenteuil, parce qu’il y est arrivé à son dernier terme. La population demeure stationnaire, parce que le sol, réduit en poussière, ne peut plus se diviser ; le nombre des habitans est de 1500 depuis vingt ans. Ce sont des gens laborieux et riches de leur industrie. Ce terrain sablonneux est fécondé par leurs sueurs ; ils vont ramasser la boue dans les rues de Paris pour la mêler au sable de leurs vignes. Toutes les figues qui se vendent pour les tables de la capitale mûrissent sur leurs coteaux. Chaque année 50 à 60,000 pièces de vin sortent de la commune pour alimenter la consommation aux barrières de la grande ville. Le plâtre qu’ils tirent de leurs carrières est exporté à Londres et à New-York. Chaque famille possède 1 ou 2 arpens de terre en 20 ou 30 parcelles situées à diverses expositions, et cultive en outre un arpent pris à loyer. Ils sont vignerons, plâtriers, charretiers, journaliers, revendeurs, suivant le jour ou la saison, car le travail chez eux ne chôme jamais. L’aisance dont jouissent les habitans d’Argenteuil ne vient donc pas uniquement de la division de la propriété ; elle tient encore à des circonstances qui se rencontrent rarement ailleurs, et surtout à la multiplicité des sources du travail.

Supposez que ces propriétaires de quelques parcelles du sol ne trouvent ni terres à affermer, ni industrie à exploiter, ils seront réduits à mendier. C’est la situation des villageois de Crosville, dans le département de l’Eure. Ceux-ci possèdent peu de chose, la propriété étant extrêmement divisée, et les terres autour du village appartenant aux habitans du Neufbourg qui les cultivent eux-mêmes. Aussi la mendicité, qui n’était d’abord pour les plus malheureux qu’une ressource extrême, est-elle devenue, à quelques exceptions près, l’industrie commune du lieu. Ils forment aujourd’hui une espèce de république mendiante, qui vit à la façon des tribus bohémiennes, excepté que chacun y a feu et lieu. Le mariage, par exemple, n’existe pas dans cette communauté ; ils le proscrivent et s’abandonnent à la promiscuité des relations fortuites. Il en naît une pépinière d’enfans qui sont dressés de bonne