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nouvelle et dernière concentration de la propriété. Après les propriétaires, les fermiers se formèrent en aristocratie. Les petites fermes disparurent du sol, les terres à blé furent converties en pâturages ; les familles qui les avaient cultivées, d’abord avec pleine possession, plus tard en vertu d’un bail à peu près héréditaire, se virent réduites à la condition précaire des journaliers. Semblables aux prolétaires de l’ancienne Rome, il fallut ou les nourrir par la taxe des pauvres, ou leur donner un monde à conquérir, le monde du commerce et de l’industrie.

La France, au contraire, a toujours été un pays de petite culture, même lorsque la terre s’y trouvait distribuée en grands domaines, et que chaque village avait son seigneur. Mais bien avant la révolution de 1789 la propriété allait se morcelant ; l’aristocratie perdait ou dissipait ses richesses à mesure qu’on la dépouillait de l’autorité. Les lois, marquées encore de l’empreinte féodale, luttèrent en vain contre la tendance égalitaire des mœurs, et des esprits. Arthur Young, voyageant en France quelques années avant la chute de l’ancien ordre de choses, remarquait déjà et déplorait, du point de vue d’un esprit anglais, la division des propriétés comme un excitant trop énergique à l’accroissement de la population.

« Si l’on veut voir, disait-il, un district où la misère soit aussi rare que le comportait l’ancien gouvernement de la France, il faut sans doute se transporter dans les lieux où il n’y a point de petits propriétaires. Il faut visiter les grandes fermes de la Beauce, de la Picardie, d’une partie de la Normandie et de l’Artois. Là on trouvera une population telle qu’elle n’outrepasse pas le nombre qui peut être régulièrement employé et salarié. Si même, dans ces districts, on venait à rencontrer un lieu où règne une excessive misère, il y a vingt à parier contre un que ce sera une paroisse en possession de quelques communaux qui séduisent le pauvre en l’engageant à élever du bétail, à devenir propriétaire, et par conséquent misérable. »

Depuis le voyage d’Arthur Young, la population de la France, qu’il jugeait exubérante, s’est accrue de 8 ou 9,000,000 d’hommes, et les moyens de subsistance se sont multipliés plus rapidement encore que la population. La révolution de 1789 a fait précisément ce que redoutait l’illustre agronome ; et pourtant, en rendant le